Le potin de la semaine
Quand les avocats refusent OPALEXE : une contradiction bien ancrée
La semaine dernière, un avocat m’informe qu’il n’a pas reçu mon email de début de mois concernant la demande d’accord d’utilisation de la plateforme OPALEXE. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Sauf que dans le même courrier, il refuse d’utiliser la plateforme en arguant que « les emails sont plus simples pour les échanges ». Attendez… Il se plaint de ne pas avoir reçu un email, et dans la même missive, il affirme que l’email est un mode de communication fiable ? Voilà un bel exemple de dissonance cognitive appliquée au droit !
Rappelons tout de même que la plateforme OPALEXE n’est pas sortie d’un chapeau magique. Développée en partenariat avec la Chancellerie, le Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice (CNCEJ) et le Conseil National des Barreaux (CNB), elle a été pensée pour faciliter la communication entre experts judiciaires, avocats, magistrats et greffiers.
Son objectif ?
Garantir le respect du contradictoire, éviter que des emails « se perdent » dans l’abîme des boîtes de réception surchargées, et surtout assurer la traçabilité des échanges.
Si l’échange de documents papier via courrier recommandé ne pose pas de problème, les transmissions électroniques nécessitent une fiabilité et une traçabilité rigoureuses. C’est ici qu’intervient OPALEXE :
- Un espace dédié et sécurisé pour chaque expertise
- Une identification par certificat numérique
- Une conservation des transmissions garantissant leur intégrité
- Une accessibilité simultanée pour tous les acteurs de l’expertise judiciaire.
Tout cela est loin d’être un gadget ! L’arrêté du 14 juin 2017 encadre cette solution comme l’outil privilégié pour la dématérialisation des expertises judiciaires.
En d’autres termes, cette plateforme est LA référence reconnue.
Certes, l’email a l’avantage d’être rapide et familier. Mais c’est aussi un outil peu fiable lorsqu’il s’agit de traçabilité et de sécurisation des échanges dans le cadre d’une expertise judiciaire. Entre les spams, les pièces jointes trop lourdes et les erreurs d’adresse, les risques de perte d’information sont réels. Sans compter que le simple fait de dire « Je n’ai pas reçu votre email » peut retarder l’expertise et engendrer des complications procédurales.
L’article 748-1 du Code de procédure civile impose d’ailleurs des conditions strictes pour la transmission électronique des actes de procédure. Il précise que toute communication électronique doit :
Être consentie par toutes les parties (art. 748-2 CPC)
Garantir l’identification des parties, la confidentialité et la traçabilité des échanges (art. 748-6 CPC)
En d’autres termes, un simple email ne répond pas à ces exigences, alors qu’OPALEXE les remplit intégralement.
Alors, pourquoi certains avocats rechignent-ils à utiliser OPALEXE ? Manque de formation ? Refus du changement ? Préférence pour des méthodes éprouvées (mais imparfaites)?
Toujours est-il qu’il est difficile de justifier un refus sur le motif que « les emails sont plus pratiques », surtout lorsque l’on commence par se plaindre de ne pas en avoir reçu un !
Si l’utilisation d’OPALEXE ne peut être imposée aux avocats sans leur accord préalable, elle reste néanmoins vivement recommandée. Après tout, elle permet de fluidifier les échanges, d’assurer la traçabilité des documents et, in fine, de réduire les coûts et la durée des expertises. Alors, pourquoi s’entêter à refuser un outil conçu pour nous faciliter la vie ?
Succession sous tension : quand une mauvaise évaluation coûte des millions
Tout commence avec le décès de Madame [C] [H], une femme d’affaires aguerrie, à la tête du groupe XXX, distributeur historique d’une marque automobile.
Son patrimoine ?
Un joli pactole évalué à 67,7 millions d’euros, réparti entre actions, biens immobiliers en France et en Italie, et autres joyeusetés patrimoniales.
Comme souvent dans ces affaires de succession, tout aurait pu se passer dans la plus grande harmonie familiale. Sauf que non.
Car entre un premier testament en 2014 qui fait de ses trois neveux et nièces ses légataires universels et un second testament en 2017 qui révoque tout et renvoie au cadre légal de la succession, les héritiers se retrouvent face à un dilemme : lequel doit primer ?
S’ensuit un protocole transactionnel signé en février 2018. Ce dernier semble enterrer la hache de guerre en posant les bases d’un partage « équilibré ». Mais à peine l’encre a-t-elle séché qu’émergent des désaccords sur l’exécution des clauses et la valorisation de certains actifs. On aurait pu croire à une affaire réglée, mais les protagonistes rebondissent avec un nouveau combat juridique.
C’est ainsi que, le 1er mars 2019, les nièces mécontentes assignent leur cousin devant le tribunal judiciaire de Paris pour réclamer le partage judiciaire de la succession et l’exécution du protocole transactionnel. Entre contestation du testament de 2017 et volonté d’obtenir une meilleure part du gâteau, les débats promettent d’être animés.
Verdict du tribunal en juin 2021 : le protocole de 2018 est validé, le partage judiciaire est ordonné, et Maître xxx est désignée pour orchestrer les opérations. De plus, le cousin récalcitrant est condamné à verser à ses cousines plus de 4,2 millions d’euros au titre du protocole signé.
Pas question pour ce dernier de s’avouer vaincu. Il fait appel, demandant l’annulation du protocole, son inexécution ou au moins la restitution des sommes versées. En mars 2023, la cour d’appel tranche : le protocole reste valable, et il doit payer. Toutefois, petite victoire pour lui, la date de calcul des intérêts est recalculée, limitant (un peu) sa dette.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Toujours déterminé à contester la décision, le cousin forme un pourvoi en cassation, espérant une issue plus favorable.
Il aurait sans doute mieux fait de faire réaliser une expertise avant de signer un tel protocole, afin de s’assurer d’une valorisation exacte des actifs successoraux et d’éviter un engagement financier aussi lourd. Une précaution qui aurait pu lui éviter bien des déconvenues judiciaires.
La Cour de cassation, dans sa décision rendue le 29 janvier 2025, rejette le pourvoi du cousin. Elle confirme que le protocole transactionnel du 14 février 2018 était valable et engageait pleinement les parties. Elle rappelle également que la signature d’un accord de ce type implique une acceptation éclairée des termes et conditions, et qu’une contestation a posteriori pour cause de mauvaise évaluation des actifs ne saurait être recevable en l’absence d’un vice du consentement dûment établi.
En clair, le cousin aurait dû être plus vigilant avant d’apposer sa signature. Le protocole est donc définitivement validé, et le paiement des sommes dues est confirmé.
L’action paulienne : quand les créanciers reprennent la main
L’action paulienne, c’est la botte secrète des créanciers face aux manœuvres douteuses de certains débiteurs.
Lorsqu’une personne, ou même une entreprise, cherche à se rendre insolvable pour éviter de payer ses dettes, cette action permet de rétablir un certain équilibre. En clair, elle donne au créancier la possibilité d’empêcher qu’un acte frauduleux ne lui porte préjudice. Et cela vaut autant pour une donation suspecte que pour une vente à un proche à prix cassé.
Ce mécanisme est prévu par l’article 1341-2 du Code civil, qui donne aux créanciers la possibilité d’attaquer des actes réalisés par leur débiteur en fraude de leurs droits. Mais attention, il ne s’agit pas de revenir sur la validité de l’acte en lui-même : le but est simplement d’en empêcher les effets à l’égard du créancier lésé. En somme, l’acte ne disparaît pas, mais il devient inopposable au créancier qui a engagé cette action.
Pour qu’une telle action fonctionne, plusieurs conditions doivent être réunies. D’abord, il faut que le créancier ait une créance certaine au moment de l’acte contesté. Il ne suffit pas d’anticiper une dette future, sauf si l’acte frauduleux a été manifestement organisé en prévision d’un futur créancier.
Ensuite, il faut prouver que l’acte réalisé par le débiteur l’a appauvri ou a rendu son patrimoine moins accessible aux poursuites. Il peut s’agir d’une vente, d’une donation ou même d’un transfert de propriété déguisé.
Enfin, si l’acte a été réalisé à titre onéreux (c’est-à-dire moyennant une contrepartie), il faut prouver que le tiers bénéficiaire était complice ou, à tout le moins, qu’il avait connaissance du préjudice causé au créancier.
L’intérêt de cette action, c’est qu’elle permet de remettre les pendules à l’heure. Elle rétablit le droit du créancier en rendant inopposable l’acte frauduleux, ce qui lui donne une chance de récupérer son dû. Si, par exemple, un débiteur a vendu à son cousin un bien immobilier pour une bouchée de pain afin d’éviter une saisie, l’action paulienne peut permettre au créancier de faire comme si cette vente n’avait jamais eu lieu.
Un bon exemple récent illustre parfaitement l’utilité de cette action. Un expert-comptable, après avoir fourni ses services à une société de restauration, s’est retrouvé avec une créance impayée. Juste avant d’être condamnée à payer ces honoraires, la société en question a vendu son fonds de commerce à une entreprise appartenant… au même gérant !
Une manœuvre pour éviter de payer la note. L’expert-comptable a donc engagé une action paulienne pour rendre la cession du fonds de commerce inopposable et tenter de récupérer son argent.
Les juges de la cour d’appel avaient initialement rejeté cette action, estimant que la preuve de l’insolvabilité du débiteur au moment de la vente n’était pas rapportée. Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 janvier 2025, a rappelé un principe fondamental : lorsqu’un débiteur vend un bien saisissable et le remplace par de l’argent liquide, plus facile à dissimuler, la preuve de l’insolvabilité n’est pas nécessaire pour invoquer l’action paulienne.
Une décision qui redonne toute sa force à ce mécanisme protecteur des créanciers.