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Les petits potins de l’immobilier -2025 Semaine 28 à 31

Le potin de la semaine

Être indépendant, ce n’est pas seulement une obligation déontologique, c’est un équilibre quotidien.

Dans ma « vie d’avant » de commissaire aux comptes (oui, j’ai aussi fait ça), la question revenait souvent : un Commissaire Aux Comptes (CAC) est-il vraiment indépendant, alors même qu’il est payé par son client ? Aujourd’hui encore, la même interrogation s’invite dans mes missions d’expertise en évaluation.

Chez ADMA Expertise, nous avons choisi un fonctionnement clair : 50 % d’acompte avant le début des travaux, et le solde avant la remise du rapport. Pas par rigidité, mais pour éviter que la question du règlement ne vienne interférer avec le débat de fond. Parce que l’expert n’est pas là pour plaire : il est là pour analyser, objectiver, conclure.

En théorie, tout est cadré : une lettre de mission, des conditions générales, de la pédagogie. Et pourtant, en pratique, les malentendus demeurent. Beaucoup confondent « avis de valeur » et « estimation de convenance ». Certains imaginent qu’un rapport peut être négocié, comme une offre commerciale.

Un exemple concret :

– « Je vous ai déjà payé un acompte, comment être sûr de recevoir le rapport ? »

Puis, à la remise du rapport :

– « Je vous aimais bien, mais vous êtes méchante… »

Le nœud du problème ? J’ai estimé qu’un fonds de commerce déficitaire ne pouvait pas valoir zéro. Un fonds, ce n’est pas seulement un résultat comptable : c’est aussi un outil de travail, des autorisations, une clientèle, un chiffre d’affaires, une mise aux normes. Cela a une valeur, même si elle est faible.

En face, le client brandissait un rapport d’agent immobilier affirmant, lui, que le fonds valait zéro. S’en sont suivies 45 minutes de discussion : qu’est-ce qu’une valeur vénale ? Quelle différence avec une simple opinion de marché ? Quel est le rôle d’un expert judiciaire ou amiable ?

La conclusion de l’échange fut limpide : « Bon, j’ai essayé… mais je comprends que vous ne reverrez pas votre copie. » Exact. Ce n’est pas une copie à corriger, c’est un rapport.

Cet épisode illustre un point essentiel : l’indépendance ne vit pas seulement dans la règle, mais dans la pratique. Elle suppose d’assumer de décevoir, d’expliquer sans relâche et de ne jamais céder à la tentation de la complaisance. Un expert est payé pour une méthode et une rigueur, pas pour délivrer le chiffre attendu.

L.145-34 et R.145-6 : l’« incidence potentielle » suffit au déplafonnement

Le renouvellement d’un bail commercial est souvent un terrain de tension entre bailleur et preneur : l’un espère un loyer « réajusté », l’autre craint une charge insoutenable. La question du plafonnement, cœur du régime légal, devient alors centrale. Faut-il s’en tenir à l’évolution de l’indice ou peut-on basculer vers la valeur locative ?

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 25 janvier 2024 (Pôle 5, ch. 3, RG 20/14692), confirmé de principe par la Cour de cassation le 18 septembre 2025 (n° 24-13.288, publié au Bulletin), apporte une réponse nette. Non, les aménagements réalisés par le preneur n’ont pas vocation à transformer un local livré brut de décoffrage en local monovalent. Oui, une modification notable des facteurs locaux de commercialité suffit à justifier un déplafonnement, même si, dans les faits, le chiffre d’affaires du locataire n’a pas progressé.

Dans ce dossier, un bail commercial consenti en 2002 avait été renouvelé au 1er juillet 2014. Le contentieux portait sur la fixation du loyer de renouvellement et, avant tout, sur le jeu du plafonnement. Le bailleur plaidait la monovalence et la modification notable des facteurs locaux de commercialité pour obtenir un déplafonnement. Le preneur soutenait que les locaux, livrés « brut de décoffrage » avec une destination très ouverte, ne pouvaient être qualifiés de monovalents, que ses aménagements n’avaient pas accédé au bailleur au moment du renouvellement, et que l’environnement commercial n’avait pas, en réalité, amélioré ses performances.

La cour d’appel de Paris écarte d’abord la monovalence. Un local livré brut, autorisant « toute activité commerciale ou artisanale », ne devient pas monovalent parce que le preneur y a réalisé des aménagements importants. Tant que la clause d’accession ne joue qu’au départ du locataire, ces aménagements restent hors du périmètre d’analyse de la monovalence et ne peuvent pas, en renouvellement, figer juridiquement une spécialité d’usage. C’est une mise au point utile pour les praticiens : si l’accession est différée à la fin du bail, on raisonne, au moment du renouvellement, sur le local tel que livré et autorisé contractuellement, pas sur les aménagements en place.

La cour examine ensuite la modification des obligations respectives des parties et balaie l’argument d’un transfert de charges de type article 606 du code civil vers le bailleur. Les travaux d’étanchéité invoqués, de 4 151,79 €, sont jugés trop modestes pour caractériser une « modification notable » de l’équilibre contractuel. Autrement dit, pour déplacer l’aiguille du plafonnement, il faut des évolutions substantielles et documentées, pas des interventions d’entretien ponctuelles.

Le cœur de l’arrêt porte toutefois sur les facteurs locaux de commercialité. Création d’un retail park de plus de 100 000 m², nouvelles enseignes d’attraction, recomposition des flux. La cour retient que cette mutation est, par nature, de nature à bénéficier à l’activité exercée. Peu importe finalement que le preneur n’ait pas, in concreto, vu son chiffre d’affaires progresser. Ce qui compte, c’est l’aptitude objective de la modification à favoriser l’activité exercée dans les lieux. Sur ce fondement unique, le déplafonnement est ordonné et la valeur locative doit être fixée.

C’est exactement ce que consacrera ensuite la Cour de cassation, le 18 septembre 2025, par un arrêt publié. Elle rappelle que la modification notable des facteurs locaux de commercialité justifie le déplafonnement si elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l’activité effectivement exercée, indépendamment de son incidence effective et mesurée sur le commerce exploité. C’est une clarification importante : le débat se déplace de la preuve d’une hausse réalisée du chiffre d’affaires vers la preuve d’une capacité objective à améliorer l’activité considérée. Les pièces « macro » redeviennent centrales : urbanisme commercial, accessibilité, enseignes locomotives, flux, connexions routières, maillage piéton, etc.

Revenons au dossier de renvoi. Après avoir posé le principe du déplafonnement, la cour d’appel fixe la valeur locative à 110 €/m², soit 121 000 € HT/HC par an, pour une surface actée à 1 102 m². Elle motive la cote en s’appuyant sur des références contemporaines de la date de renouvellement, sur site et en proximité immédiate, et applique des correctifs : locaux livrés bruts, visibilité un cran en dessous des meilleures vitrines du pôle, transfert sur le preneur de la taxe foncière et des grosses réparations. À ce titre, elle valide une minoration globale de 12 % liée aux clauses « exorbitantes » du bail (TF et 606 à la charge du preneur, accession différée), rappelant utilement que chaque bail forme un système d’obligations et que ces transferts affectent bien la valeur locative au sens de l’article R.145-8. Elle rectifie aussi les accessoires : dépôt de garantie porté au quart du nouveau loyer (30 250 €) et intérêts ne courant qu’à compter de l’arrêt, la créance de loyer n’étant pas liquide et exigible auparavant. Enfin, point de procédure pratique, la cour juge recevables des conclusions signifiées la veille de la clôture dès lors qu’elles répliquent sans moyens nouveaux et actualisent des montants à la lumière d’une procédure collective.

Ce qu’un lecteur investisseur, bailleur ou conseil doit retenir est assez simple. Premièrement, la monovalence ne se décrète pas a posteriori en s’appuyant sur des aménagements du preneur qui n’ont pas accédé. Il faut regarder l’ADN du local au jour de la livraison et la latitude de destination contractuelle. Deuxièmement, le déplafonnement par facteurs locaux de commercialité se gagne sur le terrain des faits urbains et commerciaux objectivables. La baisse du chiffre d’affaires du preneur ne barre pas la route au déplafonnement si l’environnement aurait dû, en bonne logique, dynamiser l’activité exercée. Troisièmement, la valeur locative reste un équilibre : références sérieuses, correctifs motivés, et prise en compte des charges « propriétaires » transférées au preneur, qui tirent la cote vers le bas.

Dans la pratique d’évaluation, cela impose une méthode carrée. Dater précisément la modification des facteurs locaux et sa proximité avec la date d’effet du renouvellement. Décrire l’environnement avec des éléments tangibles plutôt qu’avec des impressions : surfaces GLA, listes d’enseignes, cartes de flux, accès, report modal, photos horodatées. Qualifier la destination contractuelle et l’état de livraison, puis isoler, le cas échéant, les aménagements non accédés pour ne pas biaiser l’analyse. Documenter enfin les transferts de charges et les répercussions usuelles sur la valeur locative, en évitant les forfaits indémontrés.

Et si l’environnement se densifie mais cannibalise l’activité spécialisée du preneur par un voisin « généraliste » très fort en prix et en déco, la seule « aptitude favorable » ne risque-t-elle pas de devenir un paravent théorique pour déplafonner malgré une réalité concurrentielle défavorable ? Jusqu’où peut-on descendre dans la granularité des facteurs locaux sans glisser vers une appréciation « in concreto » du chiffre d’affaires, que la Cour refuse justement d’ériger en condition ? Côté monovalence, que se passe-t-il si le bail comporte des autorisations larges mais que l’immeuble, techniquement, ne permet raisonnablement qu’un type d’exploitation sans travaux lourds : ventilation, portance, hauteurs sous poutres, désenfumage… La solution resterait-elle la même si des autorisations administratives spécifiques, obtenues par le preneur mais intransférables, conditionnent l’usage ? Enfin, sur les clauses exorbitantes, la minoration de 12 % validée ici ne crée aucune règle générale. Elle dépendra toujours du quantum réel des charges supportées, de leur prévisibilité et de leur traitement dans les références.

On retrouve la même logique dans d’autres affaires où le déplafonnement a été admis sur la base de mutations objectives de l’environnement commercial, malgré des performances locataires atones. À l’inverse, des juridictions écartent le déplafonnement lorsque la prétendue « amélioration » n’est qu’un effet d’annonce ou lorsque la mutation bénéficie au pôle concurrent sans créer de report de flux vers l’actif considéré. La clé reste la qualité du dossier factuel.

Si vous êtes bailleur, anticipez la date de renouvellement et constituez un dossier FLC trois à six mois avant : plans de circulation, listes d’enseignes, données de surfaces, photos, décisions d’urbanisme. Si vous êtes preneur, documentez les contraintes spécifiques du local, les coûts « propriétaires » réellement supportés et l’absence de report de flux vers votre cellule. Si vous êtes expert, découpez l’analyse en séquences : destination et état de livraison, facteurs locaux datés et décrits, références triangulées, correctifs transparents, et explicitez en une phrase le pourquoi de chaque abattement ou majoration.

La monovalence se juge à l’origine et au contrat, pas à l’aune des travaux du preneur tant que l’accession n’a pas joué. Le déplafonnement par facteurs locaux repose sur l’aptitude objective de la mutation à favoriser l’activité exercée, non sur la preuve d’une hausse de chiffre d’affaires. La valeur locative se déduit ensuite des références contemporaines, corrigées des clauses de transfert de charges. Résultat dans l’espèce : déplafonnement admis, valeur locative fixée à 110 €/m² (121 000 € HT/HC), dépôt de garantie réajusté au quart, intérêts courant à compter de l’arrêt. En creux, un message clair aux parties : dans un renouvellement, on gagne ou on perd au stade de la preuve factuelle, pas au stade des impressions.

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