Le potin de la semaine
Chez ADMA, on aime les fondations solides, les charpentes bien alignées (ça c’est le côté filles de menuisier), et les neurones bien entraînés. Alors oui, entre deux missions d’expertise, on ne chausse pas seulement nos bottes et notre télémètre laser : on chausse aussi nos lunettes de lecture. Pas pour le dernier roman à la mode (quoi que je vous recommande Gilles Legardinier), mais pour les décisions de la Cour de cassation, les arrêts d’appel, les textes du Code civil ou du Code des assurances. Parce qu’un bon expert, c’est aussi un juriste éveillé.
Ici, pas de pause-café (long sans sucre) sans débat sur l’article 1792 ou sur la portée d’une clause d’exclusion. On pourrait croire que ça manque de fantaisie, mais il faut voir nos réactions quand on tombe sur une jurisprudence inédite : un soupir de satisfaction, un froncement de sourcils… ou parfois, un sourire en coin (voir plus) quand une cour d’appel a pris quelques libertés avec les grands principes. Il faut dire que dans l’univers du droit de la construction et de l’immobilier, chaque décision est une brique de plus dans l’édifice, et notre travail, c’est de savoir où et comment elle s’emboîte. (on revient souvent aux fondamentaux quand même)
Alors on lit, on décortique, on commente. Et surtout, on écrit. Pas pour faire joli, mais pour structurer la pensée, mettre en ordre les idées et partager une lecture critique du droit en mouvement. Poser les choses. Car si l’expertise technique repose sur les faits, l’expertise judiciaire repose sur la maîtrise des règles. Or ces règles vivent, évoluent, se précisent à mesure que les juridictions tranchent des cas concrets.
Être à jour, ce n’est pas un luxe, c’est une exigence. Et c’est aussi un plaisir. Celui de voir un arrêt venir confirmer ce qu’on soupçonnait déjà, ou au contraire, chambouler une certitude trop vite adoptée. Celui de comprendre comment les textes s’appliquent, non dans l’abstrait, mais dans la vraie vie des chantiers, des malfaçons, des assurances qui hésitent ou contestent.
Chez ADMA, on ne se contente pas de constater les désordres, on étudie aussi leur traitement judiciaire. C’est notre manière à nous de rester au clair, de mieux conseiller, de rédiger des rapports qui tiennent juridiquement, et d’assurer, en somme, une expertise vraiment complète.
Entre nous, un expert qui ne lit pas la jurisprudence, c’est un peu comme un menuisier qui pose une porte sans vérifier l’aplomb : tôt ou tard, ça coince.
L’assureur dommages-ouvrage face à ses délais : accepter, c’est s’engager
La décision rendue le 3 avril 2025 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler, avec clarté et une certaine fermeté, les obligations qui pèsent sur l’assureur dommages-ouvrage lorsqu’il intervient dans le cadre du régime défini par les articles L. 242-1 et A. 243-1 du code des assurances.
À travers cette affaire, il s’agit moins de redécouvrir les grands principes du droit de la construction que d’en souligner les conséquences pratiques, parfois mésestimées, sur la gestion d’un sinistre par l’assureur.
Le cœur de la problématique réside dans la gestion du sinistre par l’assureur dommages-ouvrage, notamment dans le respect des délais qui lui sont impartis pour se positionner sur sa garantie. L’article L. 242-1 du code des assurances prévoit que l’assureur dispose d’un délai maximal de 60 jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour notifier à l’assuré sa décision motivée quant au principe de la mise en jeu de la garantie. Ce délai est impératif. Il ne s’agit pas d’un simple délai d’orientation ou de réponse formelle : s’il accepte, il est engagé ; s’il refuse, il doit motiver son refus, faute de quoi sa position pourra être contestée. À défaut de réponse dans le délai imparti, la jurisprudence considère que la garantie est réputée acquise (CA Paris, 20 nov. 2003, n° 2002/07451).
Une fois le principe de la garantie accepté, un second délai s’ouvre :90 jours à compter de la même déclaration de sinistre pour présenter une offre d’indemnisation, laquelle peut être provisionnelle, en vue de permettre à l’assuré de financer les travaux de réparation. Ces deux délais sont encadrés par la loi précisément pour éviter que l’assuré ne reste dans l’incertitude ou que l’assureur ne tente d’ajuster sa position au fil du temps, à la faveur d’éléments techniques nouveaux ou d’une relecture des désordres.
Dans cette affaire, la Mutuelle des Architectes Français (MAF), en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, avait, dans le délai légal, accepté de garantir plusieurs désordres. Elle avait même versé une part substantielle de l’indemnisation proposée – les trois quarts dans la majorité des cas – conformément aux clauses types prévues à l’annexe II de l’article A. 243-1 du code des assurances, qui imposent à l’assureur, lorsque l’assuré ne donne pas son accord à la proposition, de lui verser une avance sur demande.
Or, dans un second temps, l’assureur a refusé de compléter l’indemnisation au motif que les désordres en question ne relevaient pas, selon lui, de la garantie décennale. Ce raisonnement a été validé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui a estimé que le caractère non décennal des désordres pouvait exonérer l’assureur du versement du solde. La Cour de cassation a censuré cette approche.
En effet, dès lors que l’assureur a reconnu sa garantie dans le délai de 60 jours, il ne peut plus remettre en cause ultérieurement ce principe, y compris en invoquant l’absence de caractère décennal des désordres (Cass. 3e civ., 3 avr. 2025, n° 23-16.055). Ce principe découle directement de l’alinéa 4 de l’article L. 242-1 du code des assurances, qui précise que l’offre d’indemnité doit être destinée au paiement des travaux de réparation. En d’autres termes, l’acceptation de la garantie engage définitivement l’assureur sur le terrain contractuel de l’assurance dommages-ouvrage, et non sur le débat technique de la nature des désordres au regard de la garantie décennale des constructeurs.
Il est intéressant de noter que ce raisonnement n’est pas nouveau. La Cour de cassation avait déjà jugé, dans un arrêt du 20 décembre 2018 (n° 17-28.537), que l’assureur ne peut plus invoquer l’absence de caractère décennal des désordres après avoir accepté sa garantie dans le délai légal. Toutefois, l’arrêt de 2025 illustre la portée de cette règle dans une configuration où plusieurs désordres étaient en jeu, certains ayant été réservés à la réception, d’autres non, certains déjà indemnisés, d’autres contestés partiellement. L’assureur, en s’étant engagé partiellement, se trouvait tenu de finaliser l’indemnisation pour permettre l’exécution effective des travaux.
La Cour rappelle également un principe fondamental découlant de l’article 1792 du code civil, selon lequel les constructeurs sont responsables de plein droit des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent impropre à sa destination. Cette responsabilité comprend non seulement les dommages matériels affectant l’ouvrage, mais aussi les dommages immatériels consécutifs, tels que les frais de relogement, de garde-meuble ou de déménagement. Dans l’affaire jugée, les juges du fond avaient limité l’imputation de ces frais à un seul des constructeurs, considérant que l’autre n’était pas responsable des désordres ayant entraîné ces frais. Or, la Cour de cassation rappelle que lorsqu’une condamnation est prononcée in solidum, elle porte sur l’intégralité des dommages découlant du désordre garanti, y compris les conséquences immatérielles.
Cette décision illustre l’articulation parfois complexe entre les responsabilités des différents intervenants à l’acte de construire, les garanties d’assurance, et les modalités d’indemnisation du maître de l’ouvrage. Elle impose une gestion rigoureuse du sinistre par l’assureur dommages-ouvrage, tant dans le respect des délais que dans la cohérence de sa position. Pour les professionnels du secteur, qu’il s’agisse d’avocats, de maîtres d’œuvre ou d’experts, elle incite à porter une attention particulière à la phase initiale de déclaration et de gestion du sinistre : l’acceptation de la garantie ne peut être à géométrie variable.
L’affaire interroge également la portée réelle de l’acceptation partielle d’une indemnisation par l’assureur, lorsqu’elle est suivie d’un refus de paiement complémentaire. La pratique consistant à régler les trois quarts de l’indemnité dans l’attente d’une résolution amiable ou judiciaire reste conforme à la réglementation, mais elle engage irrévocablement l’assureur sur le principe de la garantie, dès lors que l’offre est formulée dans les délais. Une stratégie fondée sur une acceptation de principe suivie d’une réduction des montants ne saurait donc prospérer en justice.
Il peut être opportun de s’interroger sur les effets d’une telle décision sur les pratiques de gestion des assureurs, en particulier sur la tentation de retarder la reconnaissance de la garantie au-delà du délai de 60 jours pour éviter tout engagement automatique. Cette attitude serait cependant risquée, dans la mesure où l’absence de réponse dans ce délai est assimilée à une acceptation tacite de la garantie, avec toutes les conséquences qui en découlent.
Ce contentieux met l’accent sur une dynamique propre au régime d’assurance dommages-ouvrage, caractérisé par un formalisme rigide mais protecteur du maître de l’ouvrage. Les mécanismes d’indemnisation y sont découplés de la question de la responsabilité, pour ne pas obérer la réalisation rapide des travaux. C’est précisément cette dissociation entre l’engagement de l’assureur et l’éventuelle mise en cause des constructeurs qui constitue la force mais aussi la complexité de ce dispositif.
Comment est calculée l’indemnité d’expropriation et est-elle toujours équitable par rapport à la valeur réelle du bien ?
Dès qu’il est question d’expropriation, une interrogation revient régulièrement chez les propriétaires concernés : l’indemnité proposée est-elle réellement équivalente à la valeur du bien ? Derrière cette question se cache une inquiétude bien légitime : celle de voir son patrimoine sous-évalué au nom de l’utilité publique.
Le principe d’indemnisation intégrale, posé par l’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, prévoit que l’exproprié doit être replacé dans une situation équivalente à celle qu’il occupait avant l’expropriation. L’indemnité principale doit ainsi couvrir la valeur vénale du bien à la date de l’ordonnance d’expropriation, tandis que des indemnités accessoires viennent compenser les préjudices annexes mais réels : frais de déménagement, indemnité de remploi, pertes de loyers, atteinte au fonds de commerce ou à la clientèle, trouble de jouissance, entre autres.
Dans la pratique, c’est souvent sur la détermination de la valeur vénale que les divergences apparaissent. Le commissaire de justice, qui représente l’administration expropriante, fonde généralement son évaluation sur un nombre restreint de références — souvent quatre ou cinq ventes comparables — pour établir une moyenne de prix au mètre carré ou par lot. Bien que cette méthode soit admise, elle tend à lisser les particularités d’un bien donné, sans toujours prendre en compte ses spécificités architecturales, sa situation locative, son état d’entretien ou son potentiel de valorisation.
Cette approche, bien qu’objective dans son intention, peut conduire à une sous-évaluation involontaire. Par exemple, un immeuble d’angle bénéficiant d’une double exposition, situé sur un axe en mutation urbaine, ou un terrain dont le potentiel constructible n’a pas encore été pleinement exploité, ne saurait être correctement valorisé au regard de quelques ventes standardisées dans le même quartier.
C’est précisément dans ce contexte qu’il est judicieux pour le propriétaire de s’entourer d’un expert, dont le rôle n’est pas seulement de contester les références de l’administration, mais de construire une argumentation étayée par une analyse fine du bien, de son environnement et du marché local. L’expert peut ainsi mobiliser des comparables plus adaptés, parfois plus récents, ou localisés dans des micro-zones pertinentes que les commissaires de justice écartent parfois, faute de données suffisantes.
L’expertise indépendante permet aussi de valoriser les éléments immatériels du bien, tels que la rentabilité locative ou le potentiel futur d’évolution, lorsqu’ils sont objectivement démontrables. Elle constitue un appui technique indispensable dans les négociations amiables, mais surtout devant le juge de l’expropriation, saisi lorsque les parties ne parviennent pas à s’entendre.
En cas de désaccord persistant, le juge statue en se fondant sur les pièces versées aux débats et les éléments d’appréciation produits par les parties. Il n’a pas d’obligation de suivre l’avis du commissaire du gouvernement, ni celui de l’expert du propriétaire, mais il s’appuie sur la qualité et la cohérence des démonstrations.
Dans de nombreux cas, une expertise argumentée, structurée autour d’une méthodologie reconnue (comparaison, capitalisation, coût de remplacement, selon le cas), conduit le juge à retenir une indemnité plus proche de la réalité du marché que celle initialement proposée.
En matière d’expropriation, il ne suffit donc pas de se reposer sur l’offre formulée par l’administration. L’écart entre l’offre initiale et l’indemnité finalement allouée peut parfois atteindre plusieurs dizaines de pourcents, notamment sur des biens atypiques ou en zones à fort potentiel. L’enjeu financier est souvent tel qu’une approche passive est rarement dans l’intérêt du propriétaire.
Dans ce type de procédure, s’entourer d’un expert immobilier qualifié, disposant d’une bonne connaissance du marché local et d’une pratique régulière des expertises judiciaires, constitue une démarche stratégique. Elle permet non seulement d’équilibrer les débats techniques, mais aussi de poser, de manière sereine et documentée, les véritables termes de la négociation.