Aller au contenu

Les petits potins de l’immobilier -2025 Semaine 06

Le potin de la semaine

Question de la semaine : fuite sur une canalisation commune : quelle répartition des frais en copropriété ?


Un syndic bénévole me contacte, visiblement perplexe face à un problème de canalisation. Il m’explique qu’une fuite s’est déclarée au niveau d’un Y permettant le raccordement d’un copropriétaire et se demande comment répartir les frais de réparation. Il m’indique qu’il n’existe pas de règlement de copropriété, mais qu’il utilise pour certaines dépenses une répartition selon les tantièmes, basés sur des indications laissées par son prédécesseur.

Dès cette première information, un point de droit mérite clarification. S’il dispose de tantièmes pour établir ses répartitions, cela signifie forcément qu’un document officiel fixe ces proportions. En copropriété, ces tantièmes sont déterminés par un règlement de copropriété ou, à défaut, par un état descriptif de division (EDD). L’EDD est un document notarié qui définit les lots privatifs et attribue à chacun un certain nombre de tantièmes. Il ne règle cependant pas les modalités d’entretien et de gestion des parties communes, contrairement au règlement de copropriété qui, lui, prévoit également la répartition des charges. Si le syndic ne possède pas ce document, il peut en demander une copie auprès d’un notaire, moyennant une certaine rémunération.

Après avoir éclairci ce premier point, reste la question cruciale : qui doit payer cette réparation ? Le syndic cherche à savoir si la charge peut être imputée directement au copropriétaire dont le branchement est concerné, ou si elle doit être répartie autrement. Avant de répondre, il convient de déterminer le statut de la canalisation en question.

En copropriété, la distinction entre partie commune et partie privative est essentielle, car elle conditionne la répartition des charges. L’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 précise que sont communes « les parties des bâtiments et des terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ». Par ailleurs, l’article 4 du décret du 17 mars 1967 indique que les canalisations communes sont celles qui traversent plusieurs lots et qui desservent plusieurs copropriétaires. En l’espèce, la canalisation en question ne dessert pas un seul lot mais est reliée au réseau général, ce qui en fait une partie commune. Dès lors, l’entretien et la réparation de cette canalisation relèvent bien de la copropriété et non d’un seul copropriétaire.

Dès lors que la canalisation est une partie commune, son entretien incombe à l’ensemble des copropriétaires selon les règles de répartition des charges fixées par la loi. L’article 10 de la loi du 10 juillet 1965 pose un principe clair :
« Les copropriétaires sont tenus de participer aux charges relatives à la conservation, à l’entretien et à l’administration des parties communes proportionnellement aux valeurs relatives des parties privatives comprises dans leurs lots, telles que ces valeurs résultent des dispositions de l’article 5. »
En conséquence, deux solutions proposées par le syndic doivent immédiatement être écartées. 

Il n’est pas possible :
❌ De faire payer la totalité des travaux au seul copropriétaire raccordé à la canalisation en question.
❌ De répartir les frais entre tous les appartements de manière égale, sans tenir compte des tantièmes.
La seule solution conforme aux règles de copropriété est de répartir la dépense selon les tantièmes de copropriété.


Mais le syndic s’interroge : ne peut-il pas, en raison de la localisation du problème, imputer directement la charge au copropriétaire concerné

À ce stade, la prudence est de mise. La jurisprudence est sans équivoque : un syndic qui facture directement à un copropriétaire une réparation sur une partie commune, sans décision de l’assemblée générale, commet une faute engageant sa responsabilité quasi-délictuelle.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 avril 2018 (Cass. 3e civ. n° 17-15.057). Dans cette affaire, un syndic avait adressé à un copropriétaire un appel de fonds pour des travaux de réparation d’une canalisation constituant une partie commune. Ce dernier, après s’être acquitté du paiement, avait contesté cette facturation et demandé son remboursement. La juridiction de proximité avait, dans un premier temps, jugé que le syndic avait commis un excès de zèle, mais sans aller jusqu’à reconnaître une faute engageant sa responsabilité. Or, la Cour de cassation a cassé cette décision, rappelant que le syndic ne pouvait en aucun cas, sans accord préalable de l’assemblée générale, décider unilatéralement d’imputer à un copropriétaire une charge relative à une partie commune.
Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence bien établie. À plusieurs reprises, la Cour de cassation a rappelé que le syndic engage sa responsabilité envers le syndicat des copropriétaires, mais aussi envers les copropriétaires individuellement en cas de faute dans l’accomplissement de sa mission :
• Cass. 3e civ. 5-10-1994 n° 92-19.764 et n° 92-19.769 : le syndic est responsable des fautes commises dans sa gestion.
• Cass. 3e civ. 7-2-2012 n° 11-11.051 : le syndic ne peut pas modifier unilatéralement la répartition des charges.
• Cass. 3e civ. 2-10-2013 n° 12-19.481 : lorsqu’un copropriétaire est à l’origine d’un dommage sur une partie commune, seule une décision de l’assemblée générale peut lui imposer le remboursement des réparations.

Dans le cas où un copropriétaire est responsable de la fuite – par exemple, s’il a endommagé la canalisation en réalisant des travaux privatifs –, la copropriété peut bien entendu engager une action contre lui. 

Mais cette action ne peut se faire que dans un cadre juridique strict :
1/ Il faut prouver que la responsabilité du copropriétaire est engagée (travaux défectueux, usage inapproprié, négligence…).
2/ Le syndicat des copropriétaires doit se réunir en assemblée générale et voter une résolution demandant le remboursement des frais.
3/ À défaut d’accord du copropriétaire concerné, une action en justice devra être intentée par le syndicat des copropriétaires.

Dans tous les cas, le syndic ne peut pas se substituer à la décision collective des copropriétaires.
Au terme de cette analyse, la marche à suivre est donc sans ambiguïté. La réparation de cette canalisation étant une charge commune, elle doit être répartie selon les tantièmes de copropriété. Le syndic ne doit en aucun cas imputer directement les frais au copropriétaire concerné, au risque d’engager sa responsabilité. Toute décision impliquant un copropriétaire de manière individuelle doit être prise en assemblée générale et, si nécessaire, validée par un juge en cas de litige.
Gérer une copropriété, même bénévolement, ne s’improvise pas. Le respect des textes légaux et des décisions de justice est indispensable pour éviter tout conflit. En cas de doute, mieux vaut toujours privilégier la prudence et se référer aux principes établis. Un syndic bien informé est un syndic qui se protège des erreurs, et surtout, des contentieux !

Exonération de plus-value et condition de remploi : quand l’administration fiscale ne laisse rien passer

Les impositions supplémentaires en matière de plus-values immobilières sont souvent une source de contentieux, notamment lorsqu’un contribuable tente d’invoquer une exonération qui lui est refusée par l’administration fiscale. 

C’est précisément ce qui est arrivé à M. B…, dont l’affaire a été tranchée par la Cour administrative d’appel de Toulouse le 23 janvier 2025. L’enjeu ? La remise en cause d’une exonération de plus-value immobilière en raison du non-respect de la condition de remploi prévue à l’article 150 U, II, 4° du Code général des impôts (CGI). Une affaire qui illustre parfaitement l’importance d’une application rigoureuse des conditions fiscales.

Tout commence par la cession, le 9 octobre 2017, d’une parcelle de terrain située à Garons (Gard), détenue en indivision par M. B… et sa sœur, à une société publique locale en charge de l’aménagement de la zone d’aménagement concerté (ZAC) « Carrière des Amoureux ». L’opération, soumise à la taxe sur les cessions de terrains devenus constructibles (article 1529 du CGI), a généré une plus-value sur laquelle M. B… a sollicité une exonération en invoquant l’article 150 U, II, 4° du CGI. Pour en bénéficier, il devait impérativement réinvestir l’intégralité de l’indemnité perçue dans l’acquisition, la construction ou l’agrandissement d’un bien immobilier dans un délai de douze mois à compter de la perception des fonds. Jusque-là, la règle semble claire.

Mais les ennuis commencent lorsque l’administration fiscale remet en cause cette exonération. Après contrôle, elle constate que si M. B… a bien utilisé une partie des fonds pour l’acquisition d’un bien immobilier à Nîmes (563 906,13 euros), il a confié 540 000 euros à la société Stonehedge dans le cadre d’une convention de partenariat exclusive visant à constituer et gérer un portefeuille immobilier. Or, cette somme, destinée à financer une seconde acquisition, n’a jamais été effectivement utilisée dans le délai imparti.

La conséquence ?

L’administration considère que la condition de remploi n’a pas été remplie et assujettit M. B… à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi qu’à la fameuse taxe forfaitaire sur les cessions de terrains constructibles. Ce dernier conteste alors la décision devant le tribunal administratif de Nîmes, qui rejette sa demande le 27 juin 2023.
Insatisfait, M. B… décide de porter l’affaire en appel devant la cour administrative d’appel de Toulouse. 

Il avance deux principaux arguments : d’une part, il conteste la régularité de la procédure de rectification, en reprochant à l’administration une motivation insuffisante des documents envoyés, notamment l’omission explicite de l’année d’imposition dans la proposition de rectification du 12 juin 2019 et la réponse aux observations du contribuable du 18 juillet 2019.

D’autre part, il invoque un cas de force majeure pour justifier l’échec du remploi, en expliquant qu’il a été victime de manœuvres frauduleuses de la société Stonehedge, qui n’a jamais réalisé l’acquisition promise ni restitué les fonds.
La cour, après avoir examiné ces arguments, rejette l’intégralité des demandes de M. B…. Concernant la motivation des documents fiscaux, elle estime que même si l’année d’imposition n’est pas mentionnée de manière explicite, les références à la cession de 2017 et aux modalités de calcul des rectifications fiscales suffisaient pour permettre à M. B… de formuler ses observations en toute connaissance de cause. L’administration n’a donc commis aucune irrégularité.
Sur le cas de force majeure, la cour adopte une position stricte. Certes, M. B… a perdu une somme conséquente et se trouve dans une situation délicate. Mais le juge administratif rappelle que le non-respect de la condition de remploi résulte d’une décision personnelle de M. B… d’investir via Stonehedge. Il ne s’agit pas d’un événement extérieur, imprévisible et irrésistible – trois critères indispensables pour qualifier un cas de force majeure. En clair, les risques liés au choix du mode d’investissement ne peuvent être transférés à l’administration fiscale. La cour enfonce le clou en précisant que l’argument selon lequel M. B… n’est pas un professionnel des placements immobiliers ne change rien à l’affaire.
Dernier point, M. B… demandait un sursis à statuer dans l’attente d’une procédure pénale ouverte contre les dirigeants de Stonehedge. Mais la cour estime que cette procédure n’a pas d’incidence sur l’analyse juridique du dossier fiscal, la responsabilité de l’administration n’étant pas engagée.
Au final, la cour administrative d’appel confirme le jugement du tribunal administratif de Nîmes. M. B… devra donc s’acquitter des impositions supplémentaires, et sa demande d’indemnisation au titre des frais de justice est rejetée sur le fondement de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative, l’État n’étant pas la partie perdante dans ce litige.

Cette affaire illustre une application stricte des exonérations fiscales : invoquer une exonération suppose un respect rigoureux des conditions posées par le législateur. Le cas de force majeure, bien que parfois admis en matière fiscale, reste une exception difficile à faire valoir, surtout lorsque le contribuable a lui-même contribué au non-respect des conditions. 

Bail rural et cession prohibée : quand la transmission d’une exploitation agricole se heurte aux règles du Code rural

Les baux ruraux ont ceci de particulier qu’ils ne se limitent pas à la simple occupation des terres. Ils impliquent une relation juridique qui peut vite se compliquer, surtout lorsque les preneurs décident de jouer aux chaises musicales.

L’affaire jugée par la cour d’appel d’Amiens le 15 novembre 2022 illustre parfaitement ce type de situation : un copreneur qui veut continuer seul, un bailleur qui s’y oppose, et une question de cession prohibée qui vient tout compliquer. De quoi donner du grain à moudre aux juristes !
L’histoire de ce bail rural débute le 5 janvier 1989, date à laquelle M. et Mme [R] ont donné à bail à M. et Mme [Z] ainsi qu’à M. [L] [Z] plusieurs parcelles agricoles d’une superficie de 46 hectares 24 ares et 46 centiares. Ce bail, initialement conclu pour 18 ans, s’est ensuite renouvelé par tacite reconduction en 2006 puis en 2015. Un schéma classique en matière de baux ruraux, mais dont l’évolution va donner lieu à un contentieux portant à la fois sur la poursuite du bail et la question de la cession prohibée.
L’élément déclencheur de l’affaire survient en décembre 2018 lorsque M. [L] [Z] décide en 2018 de prendre seul les rênes de l’exploitation. M. [L] [Z] informe les bailleurs par courrier recommandé de son intention de poursuivre seul le bail, ses copreneurs souhaitant cesser leur activité agricole. Jusque-là, rien d’exceptionnel, sauf que la lettre en question oublie un détail important : la date précise de cessation d’activité des autres preneurs, information pourtant exigée par l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM). Or, en matière de baux ruraux, la rigueur est de mise.

Les bailleurs, M. et Mme [R], ne l’entendent pas de cette oreille et décident d’assigner leurs locataires devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Laon pour s’opposer à cette transmission unilatérale du bail et en demandant sa résiliation pour cession prohibée.

Le jugement du 31 janvier 2022 va dans le sens des bailleurs en constatant la nullité de la lettre de demande de poursuite du bail et en prononçant la résiliation du bail. L’argument ? Mme [N] [F] n’a jamais été associée de l’EARL du Rogneau, la société à qui les terres ont été mises à disposition. Selon une jurisprudence bien établie (3e Civ., 21 janvier 2021, n° 19-24.520), tous les copreneurs doivent être associés de la société exploitante. Dans le cas contraire, on tombe dans le champ de l’article L. 411-35 du CRPM, qui interdit toute cession du bail sans agrément du bailleur. En clair, les preneurs auraient procédé à une cession déguisée.

Le Tribunal paritaire des baux ruraux de Laon donne raison aux bailleurs : la demande de M. [L] [Z] est rejetée, le bail est résilié et les preneurs doivent libérer les parcelles. Pour enfoncer le clou, il est précisé que l’expulsion pourra être exécutée avec le concours de la force publique si nécessaire. Une décision qui ne passe évidemment pas du côté des preneurs, qui font appel.

Les preneurs décident alors d’interjeter appel devant la cour d’appel d’Amiens. Devant la cour d’appel d’Amiens, les preneurs plaident leur cause en insistant sur plusieurs points : Mme [N] [F] a toujours participé aux travaux agricoles en tant que conjointe collaboratrice, et elle était même rémunérée pour cela. De plus, les retards de paiement de fermage reprochés par les bailleurs ne seraient que des incidents mineurs. En somme, rien qui ne puisse justifier une résiliation.
De leur côté, les bailleurs maintiennent leur position, soulignant que la lettre de demande de poursuite était irrégulière car elle ne mentionnait pas la date de cessation d’activité des copreneurs, que Mme [Z] ne participait plus à l’exploitation et ne remplissait pas son obligation de mise en valeur du fonds. De plus, ils dénoncent un mauvais entretien des terres, un stockage douteux de pommes de terre en décomposition et un manque de transparence dans la gestion de l’exploitation. Bref, ils dressent un tableau bien sombre de l’activité des preneurs, éléments qui, selon eux, justifiaient la résiliation du bail.

Par un arrêt du 15 novembre 2022, la cour d’appel d’Amiens tranche en faveur des bailleurs. Elle confirme la résiliation du bail et rappelle que l’indivisibilité d’un bail rural impose que tous les preneurs remplissent les conditions légales d’exploitation. Le fait que Mme [N] [F] ne soit pas associée dans l’EARL constitue une cession prohibée automatique, et les bailleurs n’ont même pas besoin de démontrer un quelconque préjudice. Une application stricte du droit qui scelle le sort des preneurs.. Elle rappelle que l’article L. 411-35 du Code rural interdit toute cession de bail, sauf exception, et que la mise à disposition d’un bail à une société suppose que tous les preneurs en soient associés. Or, en l’espèce, Mme [Z] ne l’était pas, ce qui caractérise une violation des obligations du preneur et entraîne la résiliation du bail sans que les bailleurs n’aient à démontrer un préjudice.

Estimant cette décision trop sévère, les preneurs forment alors un pourvoi en cassation. Leur argument principal repose sur l’interprétation de la notion de cession prohibée et sur l’application de l’article L. 411-37 du Code rural, qui encadre la mise à disposition des terres à une société. Selon eux, le simple fait que Mme [Z] ne soit pas associée de l’EARL du Rogneau ne suffisait pas à caractériser une cession illicite, et il aurait fallu démontrer un préjudice subi par le bailleur.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Les preneurs se tournent vers la Cour de cassation, qui va apporter un rebondissement inattendu. Par un arrêt du 6 février 2025, la troisième chambre civile casse partiellement la décision d’appel. Elle rappelle que si un preneur met des terres à disposition d’une société dont il n’est pas associé, cela ne constitue pas forcément une cession prohibée. Pour que la résiliation soit valable, encore faut-il que le manquement cause un préjudice au bailleur (3e Civ., 26 septembre 2024, n° 23-12.967).

Elle précise que, pour que la résiliation du bail soit justifiée, il faut également établir un manquement à l’obligation d’exploitation effective et permanente du fonds et un préjudice pour le bailleur, conformément aux dispositions de l’article L. 411-37 du Code rural. Or, la cour d’appel s’était contentée d’appliquer mécaniquement la règle, sans examiner si les bailleurs avaient effectivement subi un dommage. Une erreur qui justifie l’annulation de l’arrêt et le renvoi de l’affaire devant la cour d’appel de Rouen.
Cet arrêt nuance donc la position de la cour d’appel en rappelant que la cession prohibée ne doit pas être confondue avec un simple manquement aux obligations d’exploitation.

La cour d’appel de Rouen, qui devra rejuger l’affaire après cassation, devra donc examiner si la non-participation de Mme [Z] à l’exploitation justifiait bien une résiliation du bail ou si une autre solution, comme une poursuite partielle sous certaines conditions, pouvait être envisagée.
Cette affaire montre bien les enjeux du bail rural en matière de transmission et de respect des obligations du preneur. D’un côté, le bailleur cherche à préserver ses intérêts, en évitant que son bien ne soit détourné au profit d’une société sans contrôle. De l’autre, le preneur doit pouvoir organiser son exploitation, notamment en mettant ses terres à disposition d’une société agricole, tout en respectant les contraintes imposées par le Code rural.
Derrière ce litige, une question essentielle se pose : dans quelle mesure un bail rural peut-il être adapté aux évolutions de l’exploitation agricole sans tomber sous le coup d’une cession prohibée ? La réponse dépendra des futures décisions des juridictions du fond, mais aussi de l’évolution de la jurisprudence en matière de baux ruraux.

 

Quand la fermeture d’un restaurant devient un marathon judiciaire : l’histoire mouvementée du bail commercial du « Mûrier »

L’affaire opposant la SCI des Chèvrefeuilles à M. [U] [Y] est un parfait exemple des tensions qui peuvent exister entre bailleur et preneur en matière de bail commercial. Ce contentieux, qui s’étale sur plusieurs années et implique une clause résolutoire, pose la question du respect de l’obligation d’exploitation continue des locaux loués. Entre fermetures temporaires, exigences contractuelles et tolérances passées, les juridictions ont eu à trancher un litige où se mêlent droit contractuel, loyauté des relations d’affaires et pouvoirs du juge des référés.

Dès l’origine du contrat signé le 2 août 2004, le bail prévoyait une obligation d’exploitation continue du restaurant « Le Mûrier », sauf exceptions légales. Pourtant, entre décembre 2018 et mars 2019, l’établissement a fermé ses portes, affichant une « fermeture annuelle ». Ce repos hivernal n’a pas été du goût du bailleur, qui a immédiatement réagi en faisant dresser un constat d’huissier le 10 janvier 2019, puis en signifiant un commandement de reprise d’activité le 24 janvier 2019. Ce commandement, visant la clause résolutoire du bail, imposait à M. [Y] de rouvrir son établissement dans le délai d’un mois, sous peine de voir son bail automatiquement résilié.

Constatant que l’établissement ne reprenait pas son activité immédiatement, la SCI des Chèvrefeuilles a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Draguignan, estimant que la résiliation du bail était acquise et demandant l’expulsion du locataire. Or, dans son ordonnance du 17 juillet 2019, le juge a débouté la bailleresse, considérant que la fermeture en cause relevait de congés annuels, un droit fondamental pour tout travailleur en France. Loin d’être une victoire isolée pour le preneur, cette décision a été confirmée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 15 octobre 2020, qui a ajouté que le juge des référés n’avait pas compétence pour apprécier la durée de congés annuels en lien avec l’obligation d’exploitation. Mieux encore, la SCI des Chèvrefeuilles a été condamnée à verser 2 000 euros à M. [Y] en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’au paiement des dépens.

Face à ce double revers judiciaire, la bailleresse n’a pas baissé les bras et a décidé de porter l’affaire devant la Cour de cassation. Dans son arrêt du 12 janvier 2022, la troisième chambre civile a cassé l’arrêt de la cour d’appel en considérant que la clause résolutoire devait produire ses effets, sauf si le preneur démontrait une justification valable. Elle a rappelé que l’article 1134 du Code civil (devenu article 1103 après la réforme de 2016) impose le respect strict des clauses contractuelles, et que l’article L. 145-41 du Code de commerce conditionne la résiliation automatique à l’absence de régularisation du manquement dans le délai imparti. En d’autres termes, la haute juridiction a jugé que la fermeture prolongée pouvait être un motif légitime de résiliation, et a renvoyé l’affaire devant une nouvelle formation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

La SCI des Chèvrefeuilles, galvanisée par cette décision, a donc reformulé ses demandes devant la cour d’appel de renvoi, en insistant sur le fait que le bail avait été automatiquement résilié au 24 février 2019 et en sollicitant l’expulsion immédiate de M. [Y] avec le concours de la force publique. De son côté, le preneur ne s’est pas laissé faire et a contesté la validité du commandement du 24 janvier 2019, arguant que la clause d’exploitation continue était ambiguë, que le bailleur avait toujours toléré ses fermetures hivernales, et que son état de santé l’avait empêché de rouvrir plus tôt. Il a également soulevé la mauvaise foi du bailleur, qui aurait délivré le commandement alors qu’il savait que son locataire était absent.

Dans son arrêt du 30 mars 2023, la cour d’appel de renvoi a donné raison à la SCI des Chèvrefeuilles. Elle a confirmé que la fermeture prolongée constituait un manquement contractuel, et que l’acquisition de la clause résolutoire était effective depuis le 24 février 2019. Elle a donc ordonné l’expulsion de M. [Y], avec possibilité de recours à la force publique en cas de refus de libération des lieux, et a fixé une indemnité d’occupation équivalente au dernier loyer payé en janvier 2019. En revanche, elle a refusé d’assortir cette expulsion d’une astreinte, estimant que l’intervention de la force publique était suffisante pour garantir l’exécution de la décision.

Loin d’accepter ce dernier revers, M. [Y] a formé un nouveau pourvoi en cassation, contestant cette fois le refus de suspendre les effets de la clause résolutoire. Il soutenait que l’article L. 145-41 du Code de commerce, qui permet aux juges d’accorder des délais en cas de résiliation d’un bail commercial, ne se limitait pas aux seuls impayés de loyer, mais pouvait aussi s’appliquer à un manquement à une obligation d’exploitation.

Dans un arrêt du 6 février 2025, la Cour de cassation lui a donné raison et a cassé la décision de la cour d’appel de renvoi en affirmant que les juges pouvaient suspendre les effets d’une clause résolutoire, y compris lorsqu’elle était activée pour non-respect d’une obligation d’exploitation. Ce revirement ouvre donc la porte à un nouveau débat devant la cour d’appel, qui devra cette fois apprécier si M. [Y] peut bénéficier de délais pour se conformer à ses obligations.

Ce dossier montre  que la rigidité contractuelle peut parfois se heurter aux principes d’équité et de bonne foi. Si le bailleur pouvait légitimement exiger le respect des clauses du contrat, le preneur pouvait tout aussi légitimement s’attendre à une certaine continuité dans les tolérances du passé. Finalement, cette affaire rappelle qu’en matière de bail commercial, mieux vaut anticiper et privilégier le dialogue plutôt que de laisser un litige s’enliser dans un marathon judiciaire dont l’issue reste incertaine.

Désormais, la balle est dans le camp de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui devra, pour la troisième fois, se pencher sur cette affaire et décider si M. [Y] peut encore espérer sauver son bail. Une chose est sûre : cette saga juridique est loin d’être terminée !

Inscription à la Newsletter Mensuelle

Nous ne spammons pas ! Consultez notre [link]politique de confidentialité[/link] pour plus d’informations.

Inscription à la Newsletter Mensuelle

Nous ne spammons pas ! Consultez notre [link]politique de confidentialité[/link] pour plus d’informations.