Le potin de la semaine
La préséance en expertise judiciaire
Nous voilà embarqués dans une nouvelle mission d’expertise judiciaire, et cette fois-ci, c’est une expertise collégiale. Rien que ça ! Trois experts sur le pont pour un seul et même rapport à rendre. Autant vous dire que les expertises collégiales ne courent pas les rues, et leur fonctionnement, eh bien… disons que ce n’est pas exactement la recette du gâteau au yaourt. Alors, en bon professionnel, je me mets en quête d’éclaircissements. Je prends mon bâton de pèlerin, enfile mon plus beau sourire, et pars interroger mes illustres confrères. Ah, la douce lumière de l’expérience…
Parce que oui, il existe bien une méthode ! Le problème, c’est qu’elle est enveloppée dans un flou artistique que personne ne semble capable de clarifier sans que je doive moi-même ajouter quelques pièces au puzzle. Jusqu’à ce que, miracle, je tombe sur la bonne personne, qui, avec une infinie patience, m’explique enfin les règles du jeu.
D’abord, sachez que si nous avons tous trois la même mission, il faut forcément qu’un chef se dégage pour tenir la barre. Et non, ce n’est pas celui qui a le plus beau parapluie ou la plus grande serviette en réunion. Non, il y a tout un petit cérémonial pour désigner celui qui portera la couronne de chef d’orchestre. C’est là que l’on parle d’« expérience », ce critère magique, mais attention, pas n’importe laquelle ! On ne parle pas de celui qui a la plus grande sagesse ou qui connaît tous les recoins du Code civil sur le bout des doigts.
Premier critère : si, parmi nous, il y a un expert auprès de la Cour de cassation, bingo, il devient le capitaine du navire. Mais pas si vite ! Si plusieurs experts sont inscrits à cette Cour prestigieuse, alors c’est celui qui y est inscrit depuis le plus longtemps qui rafle la mise. Là, on commence à se dire que c’est presque trop simple.
Mais attendez, si aucun expert n’a l’honneur d’être inscrit à la Cour de cassation, pas de panique ! Le flambeau ira alors à celui qui, parmi nous, a le plus d’ancienneté sur le tableau d’une Cour d’appel. On feuillette les annuaires, on scrute les dates d’inscription, et voilà, le chef est élu.
En fait, c’est assez simple une fois que l’on connaît les règles. Mais sans ce petit guide des bonnes pratiques, on pourrait vite faire des boulettes, voire, pire, des maladresses qui mettraient à mal l’harmonie du collège. Alors, mieux vaut prévenir que guérir, et s’armer de patience… et d’un peu d’humour.
Les actualités
Usucapion
Usucapion – 10 octobre 2024 – Cour de cassation – Pourvoi n° 23-17.458
Dans le cadre de la prescription acquisitive, il faut remplir plusieurs conditions. Il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. Mais il faut également le revendiquer et enfin, il faut qu’elle soit effective depuis plus de 30 ans.
Si l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, il appartient au juge d’apprécier la valeur probante des témoignages y relatés quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée.
Dans l’affaire qui nous occupe, La décision de la Cour de cassation du 10 octobre 2024 se concentre sur la question de la prescription acquisitive (usucapion) et la valeur probante des éléments relatés dans un acte notarié, en particulier les témoignages concernant la possession.
Dans ce litige, M. et Mme [H] avaient acquis une parcelle en 2010 et se prévalaient d’un acte de notoriété acquisitive établi en 2016, qui les désignait comme propriétaires d’une parcelle voisine. La commune a contesté cette usucapion, demandant l’annulation de cet acte et revendiquant la propriété de la parcelle concernée en vertu de l’article 713 du Code civil.
La Cour d’appel de Grenoble avait annulé l’acte de notoriété, estimant que la preuve d’une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de trente ans n’avait pas été établie, les pièces fournies, y compris les témoignages dans l’acte de notoriété, n’étant pas suffisantes.
La Cour de cassation a cassé cette décision, rappelant que l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne suffit pas en soi à établir celle-ci. Toutefois, elle précise qu’il appartient au juge d’apprécier la valeur des témoignages relatés dans l’acte concernant des actes matériels de possession. En ne prenant pas en compte ces témoignages, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 2261 et 2272 du Code civil, qui exigent une possession effective pendant trente ans avec les caractéristiques précitées.
La Cour de cassation a ainsi partiellement annulé l’arrêt de la cour d’appel et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Chambéry pour qu’elle se prononce à nouveau sur la validité de l’acte de notoriété et l’application de l’usucapion, en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve, y compris les témoignages figurant dans l’acte notarié.
Il y a donc nécessité pour les juridictions d’apprécier avec rigueur l’ensemble des éléments de preuve lorsqu’il s’agit de prescrire la propriété par usucapion. L’acte notarié, bien que constitutif d’une preuve écrite, ne suffit pas à lui seul à démontrer la possession nécessaire pour prescrire. Il incombe donc au juge d’examiner la valeur des témoignages et autres preuves matérielles rapportées pour établir une possession répondant aux exigences du Code civil, notamment la continuité, la publicité et l’absence d’équivoque. Cela souligne l’importance d’une analyse approfondie des faits et de la preuve en matière de prescription acquisitive, afin de garantir un équilibre entre les droits des parties et la sécurité juridique des titres de propriété.
Trouble du voisinage
Trouble du voisinage – jours de souffrances
Les « jours de souffrance » constituent une notion particulière en droit immobilier, principalement liée aux rapports de voisinage en matière d’ouvrages ou de constructions. Ces ouvertures, également appelées « jours », sont des aménagements permettant le passage de la lumière et parfois de l’air à travers un mur mitoyen ou non, mais sans accorder un droit absolu à une vue sur la propriété voisine. Leur régime juridique se distingue de celui des « vues » au sens de l’article 678 du Code civil, qui impose des distances minimales par rapport à la propriété voisine pour éviter les intrusions visuelles.
L’article 676 du Code civil encadre le régime des jours, en précisant que l’ouverture de ces jours dans un mur non mitoyen peut être effectuée par le propriétaire du mur, mais sans que cela ne confère un droit de servitude sur la propriété voisine. Les jours sont donc tolérés, tant qu’ils n’entravent pas l’usage normal de la propriété voisine. Leur existence repose sur une simple tolérance, ce qui signifie qu’ils peuvent être obturés par le voisin sans que cela constitue en soi une atteinte à un droit absolu. Toutefois, l’obturation de ces jours peut engendrer des conséquences juridiques, notamment en matière de troubles anormaux de voisinage, si elle crée un préjudice pour le propriétaire du mur percé.
La jurisprudence s’est prononcée à plusieurs reprises sur les litiges relatifs aux jours de souffrance, en précisant que leur obstruction ne constitue pas systématiquement une faute, mais qu’elle peut donner lieu à réparation si elle cause un trouble anormal de voisinage.
L’arrêt de la Cour de cassation du 03 octobre 2024, rendu dans une affaire entre la société civile immobilière (SCI) Sam et Mme [T], en est une illustration marquante. Dans cette affaire, Mme [T] avait construit un bâtiment adossé au mur pignon de l’immeuble appartenant à la SCI, obstruant ainsi deux jours de souffrance existants dans ce mur. La SCI, qui louait les locaux professionnels situés derrière ce mur, a soutenu que l’obturation des jours entraînait une réduction significative de la lumière naturelle dans ses locaux, causant un préjudice. Mme [T], de son côté, a soutenu que ces jours ne conféraient qu’une simple tolérance et que leur obstruction ne constituait pas un trouble anormal de voisinage, notamment dans un environnement urbain dense où les constructions proches peuvent souvent entraîner une diminution de la luminosité.
La Cour d’appel de Paris, puis la Cour de cassation ont toutes deux confirmé que, même dans un environnement fortement urbanisé, l’obturation des jours de souffrance peut entraîner un trouble anormal de voisinage, dès lors que la réduction de la lumière dépasse les inconvénients normaux que l’on peut attendre dans de telles situations. La Cour a retenu que, bien que les jours de souffrance n’accordent pas un droit de servitude, leur obturation a, dans ce cas précis, entraîné une perte importante de luminosité, justifiant une indemnisation au titre de la diminution de la valeur vénale et locative des locaux de la SCI.
Cette décision s’appuie sur le principe général selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », un principe dégagé par la jurisprudence et constamment rappelé par la Cour de cassation. En matière de jours de souffrance, ce principe permet au propriétaire lésé de demander réparation, même si l’obstruction ne constitue pas en soi une violation d’un droit de servitude. L’indemnisation est alors fondée sur l’appréciation du préjudice réellement subi, notamment la perte de lumière et les conséquences économiques qui en découlent pour le propriétaire ou l’occupant des locaux affectés.
Il est important de noter que les juges du fond, dans ce type de litige, doivent examiner la situation au regard des particularités du contexte, notamment l’importance de la perte de lumière et son impact sur l’usage des locaux concernés. Ils doivent aussi tenir compte des caractéristiques de la zone dans laquelle les constructions sont situées (rurale ou urbaine, par exemple), car l’appréciation du caractère anormal du trouble varie selon le contexte. En l’espèce, la cour d’appel a jugé que la perte de lumière dans les locaux de la SCI, malgré la présence de trois autres fenêtres, constituait un préjudice excédant les inconvénients habituels liés à la construction en milieu urbain.
Les jours de souffrance, bien que fondés sur une tolérance et non un droit absolu, peuvent engager la responsabilité du voisin lorsque leur obturation entraîne un trouble anormal de voisinage. La décision de la Cour de cassation du 03 octobre 2024 rappelle que, dans un environnement urbanisé, la perte de lumière consécutive à l’obstruction de tels jours peut être indemnisée si elle occasionne un préjudice excédant les inconvénients normaux du voisinage. Ce type de litige nécessite donc une appréciation fine du contexte et des impacts réels pour les parties concernées.
Copropriété : Les pouvoirs de l’administrateur provisoire
L’administration provisoire en copropriété constitue une mesure exceptionnelle prévue par l’article 29-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, modifiée par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, qui s’applique lorsque la gestion d’une copropriété rencontre des difficultés particulières. Le recours à cette administration peut être prononcé par le juge, qui désigne un administrateur provisoire afin de rétablir le fonctionnement normal de la copropriété, en lui confiant des pouvoirs étendus.
L’administrateur provisoire est chargé, par le juge, de prendre les mesures nécessaires pour remettre en ordre la gestion de la copropriété. À cette fin, il peut se voir attribuer la totalité des pouvoirs du syndic, dont le mandat cesse de plein droit, ainsi que tout ou partie des prérogatives de l’assemblée générale des copropriétaires. Toutefois, certains pouvoirs spécifiques ne peuvent être dévolus à l’administrateur, comme ceux relatifs aux décisions mentionnées aux articles 26 a) et b) de la loi de 1965, qui concernent les actes de disposition importants tels que la vente des parties communes ou la modification du règlement de copropriété portant sur la jouissance des parties communes. Le conseil syndical, quant à lui, conserve les prérogatives qui ne sont pas transférées à l’administrateur provisoire.
Une question importante qui se pose est celle de la validité des décisions prises par l’administrateur provisoire en matière d’appel de charges de copropriété. En l’absence d’une assemblée générale, l’administrateur peut-il valider les comptes et appeler des fonds aux copropriétaires de manière autonome ? La jurisprudence a abordé cette question dans le cadre d’un contentieux entre un syndicat des copropriétaires et des copropriétaires opposants à un appel de charges.
Dans un arrêt du 7 janvier 2022, rendu par le tribunal judiciaire de Senlis et annulé par la Cour de cassation, le syndicat des copropriétaires, représenté par un administrateur provisoire, avait réclamé le paiement d’arriérés de charges à deux copropriétaires. Ces derniers avaient contesté l’ordonnance d’injonction de payer, et le tribunal de Senlis avait rejeté la demande de paiement du syndicat, considérant que l’administrateur provisoire n’était pas dispensé de la tenue d’assemblées générales pour valider les appels de charges. Le tribunal avait souligné l’absence de production d’un procès-verbal d’assemblée générale validant les comptes, ce qui rendait les appels de fonds incertains.
La Cour de cassation, dans sa décision de cassation, a jugé que le tribunal judiciaire de Senlis n’avait pas correctement recherché si l’administrateur provisoire avait été expressément investi du pouvoir d’approuver les comptes et budgets du syndicat des copropriétaires. Si tel était le cas, ses décisions auraient eu une valeur exécutoire, sans nécessiter l’approbation formelle de l’assemblée générale. La Cour a donc cassé la décision pour défaut de base légale, renvoyant l’affaire devant le tribunal judiciaire de Compiègne pour une réévaluation des pouvoirs conférés à l’administrateur provisoire.
Par ailleurs, il convient de noter que l’administrateur provisoire ne peut être considéré comme un mandataire du syndicat des copropriétaires. De ce fait, il n’est pas soumis à l’obligation de l’ouverture d’un compte séparé pour la gestion des fonds de la copropriété, contrairement à ce qui est imposé au syndic traditionnel par l’article 18 de la loi de 1965. La Cour de cassation, dans un arrêt de sa 3ème chambre civile en date du 14 janvier 2016 (n° 14-23.898), a confirmé cette position, considérant que l’administrateur provisoire, désigné par le juge et investi de pouvoirs plus larges que ceux d’un simple mandataire, n’était pas tenu à cette obligation. Cela souligne que le statut de l’administrateur provisoire diffère fondamentalement de celui du syndic classique, renforçant ainsi son autonomie dans la gestion de la copropriété.
Ce cas illustre une problématique récurrente en matière de gestion d’une copropriété sous administration provisoire : l’étendue des pouvoirs de l’administrateur et la question de leur délimitation, notamment en ce qui concerne la validation des charges de copropriété. L’article 29-1 confère à l’administrateur une grande latitude, mais celle-ci doit être explicitement définie dans l’ordonnance du juge désignant l’administrateur. Il est donc essentiel de distinguer les pouvoirs strictement conférés par le juge de ceux qui nécessitent toujours l’intervention de l’assemblée générale, comme l’approbation des comptes.
Cette jurisprudence rappelle que les copropriétaires, bien que placés sous administration provisoire, conservent des droits et des moyens de contestation lorsque les décisions prises par l’administrateur ne respectent pas les exigences légales ou n’ont pas été clairement autorisées par le juge. De plus, elle met en lumière la nécessité, pour le syndicat des copropriétaires et son administrateur provisoire, de justifier des actes pris en l’absence d’une assemblée générale, sous peine de voir leurs actions invalidées.
Le rôle de l’administrateur provisoire en copropriété est donc à la fois essentiel et encadré. La rigueur dans l’exercice de ses fonctions et dans la justification de ses décisions est indispensable pour garantir la légalité des actions entreprises, notamment en matière d’appel de charges.