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Les petits potins de l’immobilier -2025 Semaine 40 et 41

Le potin de la semaine

Avis aux pères Noël : voici une idée de cadeau originale à glisser sous le sapin, notre petit dernier arrive : « le guide d’évaluation des châteaux »  

La relecture du Guide pratique d’évaluation des châteaux touche à sa fin, et l’on s’attaque à la mise en page pour le livre papier, et la version numérique.

Notre correctrice, qui traque la moindre ambiguïté avec une constance qui force l’admiration, avance doucement vers un statut officieux d’experte elle aussi, après avoir relu plusieurs de nos ouvrages.

Une des questions : faut-il dire un château en ruine ou en ruines. Le genre de détail linguistique qui paraît anecdotique, jusqu’au jour où il se glisse dans une estimation et laisse un lecteur dubitatif.

Le singulier s’impose lorsqu’on parle d’un édifice qui se dégrade, qui se fissure et qui perd progressivement sa cohérence. Dans cette acception, la langue ne transige pas : une construction tombe en ruine, jamais en ruines. Ce singulier désigne un processus, une dynamique presque vivante, l’effondrement en cours ou à venir. Il s’attache au mouvement, pas à l’état final.

Le pluriel raconte tout autre chose. Les ruines désignent ce qu’il reste lorsqu’il n’y a plus réellement de bâtiment, seulement un ensemble figé, voisin des décombres, qu’on ne peut plus réhabiliter en tant que tel. Le terme ruine retrouve enfin une utilité lorsqu’il s’applique à une maison délabrée mais qui conserve un potentiel. On ne retape pas des ruines. On les contemple, on les fouille, parfois on les protège, mais on n’y voit plus une bâtisse à sauver.

Le terme ruine, au singulier, retrouve une troisième vie lorsqu’il désigne une maison en très mauvais état, achetée comme on achète un projet, avec l’idée de la remettre sur pied. Une ruine peut redevenir habitable. Des ruines non. L’un ouvre une perspective, l’autre impose un constat.

Pour l’expert, cette nuance n’est pas décorative. Cette distinction, en apparence linguistique, devient technique dès qu’il s’agit d’évaluer un château. Décrire un bien en ruine suppose qu’il reste une structure, un volume, une logique architecturale à examiner. Parler de ruines revient à admettre que l’objet d’étude n’est plus qu’un ensemble fragmentaire où la valeur glisse vers le foncier et les servitudes plus que vers la pierre. Les mots ne sont donc pas de simples ornements, mais des outils de travail qui orientent l’analyse et parfois la valeur.

Il faut reconnaître que la frontière reste poreuse. Certains châteaux hésitent entre la ruine et les ruines, au point que deux experts pourraient décrire le même bien avec des termes différents sans être dans l’erreur. Qu’est-ce qu’une structure encore exploitable. Un mur porteur suffit-il. Jusqu’où peut-on parler de potentiel avant de glisser dans l’optimisme. Les inventaires des Monuments historiques montrent parfois des situations intermédiaires où le vocabulaire classique peine à suivre. Et si l’on s’avisait de qualifier ruine ce qui, au fond, n’est déjà plus qu’un amas de pierres, la responsabilité de l’expert pourrait être discutée, surtout si la formulation laisse croire à une possibilité de restauration qui n’existe plus. On touche là à la zone grise où l’expertise se heurte à la réalité physique du terrain.

Quand on a un amas de pierres. Jusqu’où peut-on parler de potentiel…

Bail rural : le délai pour réclamer les améliorations court dès la date d’effet du congé, même en cas de contestation

L’indemnisation des améliorations dans un bail rural est un terrain où la lettre du texte et les réflexes naturels du praticien ne vont pas toujours dans le même sens. Le preneur se dit souvent qu’en contestant le congé, il “gèle” tout, y compris les délais. On comprend l’idée. Quand le sort même du congé est en débat, pourquoi commencer à courir après un délai dont l’existence dépend justement de la fin du bail. La Cour de cassation répond ici de manière nette. La contestation du congé n’a aucune incidence sur le délai pour agir en indemnisation des améliorations culturales. Ce délai part à la date d’effet du congé, même si le preneur soutient encore qu’il est irrégulier, injustifié ou nul.

Le dossier opposait deux preneurs et leur GAEC aux bailleurs, autour de parcelles exploitées dans le cadre d’un bail rural classique. Congé délivré pour le 11 novembre 2020. Contestation du congé. Décision du tribunal paritaire en octobre 2021 validant le congé. Remise des lieux fin novembre. Puis, en mars 2022, les preneurs demandent en référé la désignation d’un expert pour inventorier et valoriser les améliorations qu’ils estiment avoir apportées. La cour d’appel déclare la demande irrecevable. La Cour de cassation confirme.

La solution tient en une phrase. Le délai prévu par l’article L 411 69 du Code rural et de la pêche maritime est un délai de forclusion. Il court douze mois à compter de la fin du bail. Et ce délai, sauf texte contraire, n’est ni interrompu ni suspendu. La Cour rappelle fermement ce principe puis applique la mécanique, implacable, aux faits de l’espèce. Le congé prenait effet le 11 novembre 2020. Le délai expirait le 12 novembre 2021. La demande d’expertise a été introduite en mars 2022. Le couperet tombe. Peu importe que les preneurs aient contesté le congé. Peu importe qu’ils aient effectivement occupé les terres au delà de la date d’effet puisque la fin du bail est déterminée par le congé validé, non par la date matérielle de restitution. Peu importe que le jugement du tribunal paritaire ne soit intervenu qu’en octobre 2021. En matière de forclusion, le temps est souverain.

On voit le piège classique. Le preneur concentre son énergie contentieuse sur le congé. Il pense avoir le temps. Les débats prennent des mois. Pendant ce temps, l’horloge tourne. Et lorsque la contestation du congé échoue, il se retrouve sans recours pour obtenir paiement de ses améliorations. La Cour ferme ici toute porte à une interruption ou suspension du délai par l’effet de la contestation du congé. L’article 2241 du Code civil, qui régit l’interruption des prescriptions, est écarté. Le preneur doit donc mener deux batailles simultanément. Contester le congé, d’un côté. Préserver dans le même temps son droit à indemnité.

On peut comprendre la logique. Le régime du bail rural se construit sur un équilibre. Le bailleur doit pouvoir connaître assez tôt l’étendue de ses obligations. L’article L 411 69 vise précisément à éviter que les litiges sur les améliorations ne traînent indéfiniment après la sortie du preneur. Mais pour le preneur, cela signifie une vigilance accrue. S’il estime avoir droit à une indemnité, il ne peut pas se contenter d’attendre la décision sur le congé. Il doit initier sa démarche dans l’année, quitte à formuler des demandes “à titre subsidiaire” tant que le congé est contesté. C’est contre intuitif, mais juridiquement nécessaire.

Le diable se niche dans les détails. Que se passe t-il si le congé est finalement annulé. Faut-il considérer que la fin du bail n’a jamais existé et que le délai n’a jamais couru. Le texte laisse cette question ouverte, mais la logique de l’arrêt laisse penser que si le congé tombe, le fondement même de la forclusion disparaît. Encore faut-il que l’action en contestation prospère, ce qui n’était pas le cas ici. Autre question. Une expertise in futurum demandée dans le délai mais avant la validation du congé serait-elle admise. Probablement oui, si elle répond à l’exigence de motif légitime. Mais les juges pourraient être tentés de considérer que, tant que le congé est contesté, l’existence même d’améliorations à indemniser est hypothétique. On voit la fragilité.

On peut penser à d’autres situations concrètes. Un bail rural familial où le preneur a investi lourdement dans les bâtiments. Un congé pour reprise contesté par le preneur. Les débats durent deux ans. À l’issue, le congé est validé. Si le preneur n’a pas agi dans l’année qui suivait la date d’effet initiale du congé, tout est perdu. Inversement, dans un bail où le congé est contesté puis annulé, le bail se poursuit et aucune action en indemnisation n’a lieu d’être tant que le contrat vit. Là encore, la temporalité devient la clé du raisonnement.

Cet arrêt confirme une règle simple. Dès qu’un congé est délivré, le professionnel doit ouvrir deux dossiers. Un dossier “congé”, pour discuter sa validité. Un dossier “améliorations”, pour préserver l’éventuelle indemnité. Le preneur ne doit jamais penser que le premier neutralise le second. Ce n’est pas le cas. Et cette erreur de raisonnement coûte cher.

Transaction entre bailleur et locataire : le garant solidaire peut s’en prévaloir si elle contient un avantage qui lui profite

Les garanties solidaires dans les baux commerciaux forment un terrain où la mécanique juridique est parfois contre intuitive. Le cédant du fonds, devenu garant du cessionnaire, se retrouve souvent au banc des accusés pour des loyers qui ne sont plus les siens. Le bailleur, lui, se tourne vers celui qui paie. Et lorsque le locataire cessionnaire négocie avec le bailleur une transaction sur les loyers impayés, la tentation est grande pour le garant d’y voir une porte de sortie. Après tout, si le bailleur renonce à réclamer certaines sommes au débiteur principal, pourquoi pourrait-il les maintenir à la charge du garant. La Cour de cassation répond ici que cette question ne peut pas être évacuée aussi vite. Une transaction ne produit pas d’effet direct à l’égard des tiers, mais elle peut produire des conséquences pour eux. Le garant codébiteur solidaire peut se prévaloir de l’avantage accordé par le créancier à son coobligé, dès lors que cet avantage réduit la dette globale. Et la cour d’appel ne peut statuer sans examiner ce point.

Le dossier oppose une bailleresse à une société qui avait cédé son fonds en 2018, en s’engageant à garantir solidairement la locataire cessionnaire. Lorsque cette dernière accumule les impayés, la bailleresse se tourne vers le garant, comme le bail le permet. En cours de procédure, la locataire et la bailleresse signent une transaction. Le bailleur renonce à tout paiement de loyers antérieurs contre le versement immédiat d’une somme forfaitaire. C’est une remise partielle, enveloppée dans un protocole. Le garant, évidemment, s’en saisit : si le bailleur abandonne une partie de sa créance contre le débiteur principal, la logique de la solidarité veut que la dette commune diminue d’autant. La cour d’appel, toutefois, écarte cet argument. La transaction, selon elle, ne concerne que les deux signataires et ne prive pas le bailleur de son recours contre le garant.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle rappelle une règle qui tient en quelques lignes du Code civil, mais qui change beaucoup de choses dans la pratique. Une transaction n’a d’effet qu’entre les parties. En revanche, elle est un fait juridique pour les tiers. Un garant solidaire peut invoquer les engagements pris dans une transaction, non pas pour revendiquer la transaction en elle-même, mais pour faire constater que le créancier a accordé un avantage au débiteur principal qu’il peut lui-même utiliser pour réduire ce qu’il doit. C’est la déclinaison moderne d’un principe ancien : lorsque la part d’un codébiteur est éteinte ou réduite, le garant ne peut pas être poursuivi pour un montant supérieur à ce qui reste dû.

L’enjeu est très concret dans les cessions de fonds accompagnées d’un engagement de garantie solidaire. Ce type de garantie, particulièrement fréquent dans les baux commerciaux, fonctionne comme une corde de rappel pour le bailleur. Le cédant croit avoir quitté les lieux mais continue à porter le risque financier du cessionnaire. Lorsque celui-ci négocie avec le bailleur une transaction pour « solder » une période délicate, la question est simple : l’effort consenti par le bailleur profite t il aussi au garant. La Cour répond que l’on doit au moins se poser la question. La cour d’appel, en l’ignorant, a privé sa décision de base légale.

Toutes les transactions ne contiennent pas de remise de dette. Certaines clarifient simplement les comptes. D’autres rééchelonnent des paiements sans véritable abandon. Certaines, encore, sont rédigées avec des clauses où chacun précise qu’il ne renonce à rien à l’égard de qui que ce soit. Mais ces clauses, s’il en existe, doivent être confrontées à la mécanique de la solidarité. Le Code civil ne permet pas au créancier de jouer à somme variable : ce qu’il accorde pour éteindre la dette principale doit être retranché de la dette commune. À défaut, la solidarité devient un outil de pression illégitime.

Reste un point sensible que la pratique rencontre souvent. Que se passe t il lorsque la transaction contient une clause affirmant qu’elle est « inopposable aux tiers ». C’est devenu presque automatique dans les protocoles. La clause protège la confidentialité et l’étanchéité du compromis. Mais elle ne suffit pas à empêcher un garant d’invoquer le contenu du protocole en tant que fait juridique. Il n’en fait pas un droit subjectif. Il l’utilise comme preuve de la réduction de la dette. S’il y a remise partielle, elle profite à tous les codébiteurs solidaires. On peut y voir une fragilisation de la liberté contractuelle. La Cour y voit simplement l’application de la solidarité telle que la loi l’a pensée.

Sur le terrain, les scénarios sont nombreux. Un locataire en difficulté obtient un abandon de loyers contre un paiement immédiat réduit. Un garant, souvent un cédant qui a quitté les lieux depuis longtemps, est poursuivi pour le solde. Dans bien des cas, la transaction a « purgé » le passé. Pourtant, le garant continue à être poursuivi. L’arrêt rappelle qu’il ne faut pas s’arrêter à la formulation du protocole. Il faut analyser sa substance. S’il y a un avantage réel pour le débiteur principal, la dette commune doit être recalculée. Ce n’est ni une faveur, ni une interprétation généreuse. C’est le droit des obligations, dans sa version la plus mécanique.

Joue maintenant l’avocat du diable. Et si la transaction n’était qu’un arrangement interne entre le bailleur et le locataire, destiné à accélérer un paiement, sans véritable remise de dette. Si la somme versée dans le protocole correspondait en réalité à l’intégralité de ce qui était dû à cette date. Dans ce cas, l’avantage serait inexistant. Le garant ne pourrait rien en tirer. Le protocole devient alors un écran sans effet. Autre difficulté. Le protocole peut porter sur une période différente de celle réclamée au garant. L’avantage ne serait pas transposable. Le garant doit donc démontrer que ce qui a été « abandonné » au locataire correspond exactement à la créance pour laquelle il est lui-même poursuivi.

On pourrait aussi opposer que la transaction n’a pas pour objet d’éteindre une dette mais d’organiser la poursuite de la relation contractuelle. Le bailleur consent un bouffée d’oxygène au locataire pour maintenir l’activité. Dans cette hypothèse, étendre les effets de la transaction au garant pourrait priver le bailleur d’un levier indispensable pour rétablir la situation financière. C’est un argument de politique contractuelle, mais la loi ne le reprend pas. Et la solidarité financière n’a jamais été une garantie de confort pour le créancier. Elle est une règle stricte qui se retourne parfois contre celui qui croit l’utiliser.

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