Le potin de la semaine
Encore un dossier de divorce où les avocats et leurs clients confondent tout : bien détenu en propre et bien détenu via une SCI. C’est un classique. On m’explique que “Madame possède la moitié de la maison”, que “Monsieur veut racheter la part du bien”, et qu’il suffira “d’estimer la valeur du bien immobilier pour solder le partage”. Non. Ce n’est pas une maison qu’ils possèdent, mais des parts sociales d’une société civile immobilière. Et non, la valeur d’une SCI n’est pas celle du bien qu’elle détient.
Il faut arrêter avec cette idée fixe : une SCI ne vaut pas le bien qu’elle possède. Et non, détenir des parts de SCI ne fait pas de vous propriétaire du bien immobilier. Ce que vous possédez, ce sont des parts sociales, c’est-à-dire un droit dans une personne morale. Et cette personne morale, elle, possède peut-être un immeuble. Nuance fondamentale, trop souvent balayée d’un revers de main.
En droit, la chose est simple : la société civile immobilière a sa propre personnalité juridique. Elle peut acheter, vendre, emprunter, être en justice, payer des impôts ou en réclamer. Elle a son patrimoine distinct de celui des associés. Ce patrimoine comprend parfois un immeuble, mais aussi un compte bancaire, des dettes, des charges, des conventions de compte courant, des prêts entre associés et tout ce qui fait la vie d’une société. Un associé, lui, ne possède rien de tout cela directement. Il détient seulement une quote-part de capital, un droit à participer aux décisions et, éventuellement, à percevoir une fraction du bénéfice. Pas les murs, pas le terrain, pas les loyers en direct.
Prenons un cas concret : une SCI détient un bien estimé à 500 000 euros, avec 300 000 euros de prêt restant dû et 10 000 euros de trésorerie. La valeur nette du patrimoine social est donc de 210 000 euros. Et encore, il faut appliquer un abattement de liquidité, car les parts ne se vendent pas comme un appartement, voire un abattement de minorité si l’associé n’a aucun pouvoir de décision. Résultat, la valeur réelle des parts peut tomber à 150 000 euros, parfois moins. Et pourtant, combien de fois entend-on : « Ma SCI vaut 500 000 euros » ? Non. Elle détient un bien qui vaut peut-être 500 000 euros, mais ses parts ne valent pas cette somme.
Cette confusion est fréquente. On dit « ma maison », « mon appartement », « mon bien », alors qu’on parle d’un actif détenu par une société. C’est une forme de schizophrénie juridique : on gère la société comme soi-même, tout en oubliant qu’elle a sa propre existence. La SCI signe, encaisse, emprunte, agit en justice. Elle n’est pas le reflet de ses associés. Et ce n’est qu’au moment des grandes épreuves divorce, succession, contentieux entre héritiers que cette distinction ressurgit, souvent dans la douleur : on ne partage pas un bien, on partage des parts sociales.
En évaluation, cette nuance change tout. L’expert ne valorise pas un appartement, il valorise une société. Il reconstitue le bilan : actif, passif, dettes, créances, fiscalité latente, conventions de comptes courants, etc. C’est la valeur nette réévaluée (article 1843-4 du Code civil) qui sert de base. Et cette valeur peut être très différente à la hausse ou à la baisse de celle de l’immeuble sous-jacent. Sur le plan fiscal, l’administration le rappelle régulièrement : les droits de mutation sur des parts de SCI se calculent sur la valeur nette des parts, pas sur la valeur brute du bien immobilier.
Mais soyons honnêtes : dans les SCI familiales, on entretient volontairement l’ambiguïté. On parle de “sa” maison, on paie les travaux personnellement, on prête à la SCI sans convention, on oublie les assemblées, on mélange tout. Jusqu’au jour où le notaire, le juge ou l’expert rappelle une vérité froide : la SCI n’est pas vous. Et là, les choses se compliquent. Savez-vous vraiment combien valent vos parts aujourd’hui ? Votre SCI a-t-elle un vrai bilan, ou juste un compte bancaire ? Et si la SCI a plus de dettes que d’actifs, quelle est alors la valeur de vos parts ?
La SCI n’est pas une coquille transparente, c’est une structure autonome. La traiter comme une simple extension de soi, c’est s’exposer à des malentendus coûteux. Non, la valeur d’une SCI n’est pas égale à celle du bien. Et non, posséder des parts de SCI ne fait pas de vous propriétaire de murs. La SCI est un écran juridique : utile, protecteur, parfois encombrant. Mais certainement pas un miroir fidèle de votre patrimoine personnel.
La SCI, c’est pratique tant qu’on n’essaie pas de la comprendre. Dès qu’on gratte, elle rappelle qu’entre la personne physique et la personne morale, il y a un monde : celui du droit, et il ne se négocie pas à coups de raccourcis.
Voici l’affaire, sans effets de manche, telle qu’elle intéresse un bailleur, un preneur et, au milieu, ceux d’entre nous qui fixent des loyers et rédigent des actes. Monoprix soutenait que, même lorsque le bail s’est poursuivi au-delà de douze ans par tacite prolongation, la hausse issue du déplafonnement devait être lissée par paliers annuels de 10 pour cent en application du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce. La troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 16 octobre 2025, a rejeté ce pourvoi. Elle confirme que le mécanisme de lissage ne joue pas dans cette hypothèse.
Le texte de l’article L. 145-34 organise deux temps. Tant que l’on reste dans un bail de neuf ans renouvelé sans clause de durée supérieure et sans modification notable des facteurs de l’article L. 145-33, on plafonne la variation par l’indice. Dès qu’intervient une cause de déplafonnement, on bascule à la valeur locative. Le dernier alinéa prévoit alors, dans certains cas, un étalement de la hausse, à raison de 10 pour cent par an. La Cour rappelle ici que ces cas sont limités aux déplafonnements pour modification notable des éléments 1 à 4 de L. 145-33 ou lorsque le contrat prévoit une durée supérieure à neuf ans. L’exception ne couvre pas le déplafonnement né d’une tacite prolongation qui a fait dépasser douze ans. Dans cette dernière configuration, la hausse n’est pas étalée, le loyer se fixe à la valeur locative et s’applique sans paliers.
Dans l’affaire Monoprix exploitation contre SCI Foch, le bail de 2001 avait dépassé douze ans par simple prolongation tacite. Un arrêt devenu irrévocable avait déjà fixé le loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2014 à la valeur locative, en retenant que le loyer n’était pas plafonné. La locataire a tenté, en référé, d’opposer le lissage pour limiter l’effort financier à 10 pour cent par an. La cour d’appel d’Aix en Provence a écarté l’argument, puis la Cour de cassation a validé cette lecture littérale de L. 145-34. L’étalement ne s’applique pas aux baux de neuf ans prolongés tacitement au-delà de douze ans, même s’ils se trouvent, pour cette raison, soumis au déplafonnement.
La solution s’inscrit dans une ligne cohérente de la haute juridiction sur la nature et l’office du lissage. D’une part, la Cour a dit dès 2018 que le lissage n’affecte pas la fixation du loyer à la valeur locative, c’est un simple calendrier d’exigibilité qui n’entre pas dans la compétence du juge des loyers. Autrement dit, on fixe la valeur locative, puis les parties gèrent l’échelonnement si, et seulement si, on est dans un des cas où le texte l’autorise. D’autre part, en 2023, la Cour a encore précisé que le juge des loyers n’a pas à arrêter l’échéancier. Ici, la question n’était plus l’office du juge mais le champ d’application du lissage. La réponse est ferme et lisible dans le texte.
Pour la pratique, c’est un rappel utile. Quand un bail de neuf ans est laissé filer et dépasse douze ans sans acte, le loyer du bail renouvelé passe à la valeur locative sans plafonnement indiciaire et sans lissage 10 pour cent. Côté bailleur, la trajectoire de cash-flow s’apprécie à la date de prise d’effet du renouvellement, sans amortisseur légal. Côté preneur, il ne sert à rien d’invoquer le dernier alinéa pour étaler la hausse si le déplafonnement ne vient ni d’une clause de durée excédant neuf ans, ni d’une modification notable des éléments de la valeur locative. Dans ce dernier cas, si modification notable il y a, le lissage est envisageable. Mais l’affaire jugée rappelle que l’excédent de douze ans par tacite prolongation ne déclenche pas, à lui seul, l’étalement.
Un autre enseignement, plus procédural, ressort de la séquence aixoise qui a précédé le pourvoi. Lorsque la juridiction des loyers fixe la valeur locative, sa décision vaut titre pour exécuter le différentiel. On n’a pas besoin d’une nouvelle condamnation pour recouvrer. L’outil est le titre exécutoire de fixation du loyer, et la voie est l’exécution forcée si nécessaire. La tentation de revenir en référé pour obtenir une provision se heurte alors à l’autorité et à la force de chose jugée du titre de fixation, comme l’a relevé la cour d’appel. C’est une économie de procédure, mais aussi une discipline de rédaction des demandes initiales.
Concrètement, que fait-on en amont. D’abord, on suit la durée effective des baux. Si le client bailleur veut garder la main, il renouvelle à terme plutôt que de laisser filer. S’il préfère récupérer la valeur locative pleine, laisser dépasser douze ans par tacite prolongation peut être rationnel, mais il faut anticiper la capacité du preneur à absorber le choc. Ensuite, côté preneur, on surveille les facteurs locaux de commercialité, la destination, les caractéristiques et les obligations contractuelles. Si une modification notable est documentable, le lissage redevient une piste. Enfin, on contractualise. Un bail peut prévoir une durée supérieure à neuf ans, avec la perspective du lissage légal si déplafonnement il y a. Et, séparément du cadre légal, on peut négocier un échéancier conventionnel qui ne contredit pas le titre, mais organise l’exigibilité.
Comparaison avec la jurisprudence récente et les dossiers terrain. L’avis du 9 mars 2018 avait posé la pierre angulaire. Le lissage n’est qu’un étalement d’exigibilité, hors du champ du juge des loyers. L’arrêt du 25 janvier 2023 a resserré la vis en rappelant la stricte compétence du juge. L’arrêt du 16 octobre 2025 ferme une porte interprétative en confirmant l’inapplicabilité du lissage en cas de déplafonnement pour tacite prolongation au-delà de douze ans. Sur le terrain, lorsque le commerce est structurellement rentable et que la valeur locative est soutenue par des comparables solides, la position du bailleur est forte. Dans les zones où l’activité a décliné, le preneur a intérêt à documenter une modification notable des facteurs locaux, seule passerelle possible vers le lissage légal.


