Le potin de la semaine
Comme vous le savez maintenant, le leitmotiv des sœurs Adma, c’est le partage des connaissances.
Le 21 mai 2025, Philippe Favre-Réguillon a animé un goûter virtuel consacré à la valorisation des parts de SCI, accompagné d’Adeline Desthuilliers pour la partie évaluation. Cet échange en ligne a permis de rappeler les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil, qui encadre la mission de l’expert chargé de déterminer la valeur des droits sociaux, tant en contexte amiable (cession entre associés, transmission familiale) qu’en contexte contentieux (retrait d’associé, mésentente) .
Au cœur de la présentation, Adeline Desthuilliers a détaillé les méthodes d’évaluation : l’Actif Net Réévalué (ANR) pour les SCI patrimoniales, l’approche par rendement fondée sur les revenus locatifs futurs, et la combinaison pondérée de plusieurs méthodologies, ajustée au profil de chaque structure et à son régime fiscal. Les intervenants ont également souligné l’importance des décotes pour illiquidité, minorité et clauses statutaires (clause d’agrément, pactes d’associés) dans la valorisation unitaire des parts.
Les participants ont profité d’un temps de questions-réponses pour approfondir la transparence des hypothèses retenues (taux d’actualisation, valorisation des immeubles) et la traçabilité des calculs, gages de la robustesse et de l’acceptation des rapports d’expertise. Les échanges, ponctués d’anecdotes et de cas pratiques, ont rendu la matière juridique à la fois concrète et motivante.
Nous avons le plaisir de vous dévoiler le dernier projet d’Adeline. Pour prolonger le partage et diffuser nos analyses de manière régulière, nous lançons dès aujourd’hui une première saison de podcasts : Saison 1 : « Créer ou reprendre un hôtel ». Et à venir, la Saison 2 : « La copropriété ». Disponibles sur toutes les plateformes de podcast, ces formats courts et accessibles vous accompagneront dans vos projets immobiliers.
« Copropriétés touristiques : quand le syndicat reprend la main face aux clauses de subrogation »
Dans son arrêt du 22 mai 2025 (pourvoi n° 23-19.544), la Cour de cassation rappelle que le syndicat des copropriétaires conserve, même dans une résidence de tourisme, le droit d’agir pour défendre les intérêts collectifs de l’immeuble. Les faits prennent place dans une station de ski où plusieurs immeubles, construits pour être exploités en résidence de tourisme, ont été vendus en VEFA. Chaque copropriétaire a conclu un bail commercial avec la société PV Résidences et Resorts, comprenant une clause subrogeant l’exploitant dans les actions à mener contre les constructeurs au titre des garanties légales.
À la suite de désordres affectant les escaliers extérieurs, les syndicats des copropriétaires de sept immeubles ont demandé une expertise judiciaire en référé. Leur action a été jugée irrecevable par les juridictions du fond, les juges considérant que la subrogation consentie à l’exploitant ôtait aux syndicats toute qualité à agir. La Cour de cassation ne suit pas cette analyse. Elle affirme qu’une clause de subrogation insérée dans un bail commercial ne peut retirer au syndicat des copropriétaires les prérogatives que lui confèrent les articles 14 et 15 de la loi du 10 juillet 1965.
Un copropriétaire ne peut transférer plus de droits qu’il n’en détient, et les droits d’action du syndicat existent indépendamment des engagements pris à titre individuel. Le statut de la copropriété prévaut donc sur les stipulations contractuelles. L’article 1346-4 du code civil précise que la subrogation ne concerne que la créance et ses accessoires, à l’exclusion des droits exclusivement attachés à la personne du créancier. Elle ne saurait priver une personne morale de la qualité à agir que la loi lui reconnaît expressément.
Cette décision redonne au syndicat sa juste place dans le cadre particulier des résidences de tourisme. Elle invite à ne pas confondre la gestion commerciale d’un ensemble immobilier avec l’administration de ses parties communes. Le statut dérogatoire des résidences de tourisme, organisé par le code du tourisme, ne prime pas sur les dispositions impératives de la loi de 1965. L’organisation contractuelle choisie par les parties ne peut effacer la personnalité morale du syndicat, ni sa mission de conservation et d’amélioration de l’immeuble.
Le syndicat n’est pas un spectateur. Il agit en son nom propre pour la sauvegarde des droits collectifs. En présence de désordres touchant les parties communes, même lorsque l’immeuble est soumis à une exploitation touristique encadrée, son action reste recevable. La subrogation contractuelle ne saurait le priver de cette faculté. Il en résulte un rééquilibrage salutaire entre les intérêts économiques des gestionnaires et la vocation juridique des copropriétés à assurer la défense de leur patrimoine.
Comprendre le pacte de préférence
Le pacte de préférence, tel qu’énoncé à l’article 1123 du Code civil, oblige le promettant à offrir prioritairement à son bénéficiaire toute décision de vente ou de location de son bien. Lorsqu’un tiers acquiert le bien sans avoir reçu cette offre prioritaire, le bénéficiaire subit un préjudice concret, au-delà de la simple frustration : il perd des chances d’acquérir ou de tirer profit du bien. L’action principale se fonde sur la responsabilité contractuelle (article 1231-1 C. civ.), qui permet de réclamer des dommages-intérêts pour inexécution du pacte. Si, en outre, le tiers connaissait l’existence du pacte, l’article 1123 alinéa 2 autorise le juge à prononcer la nullité du contrat ou à substituer le bénéficiaire dans la position de l’acquéreur. Enfin, sur le terrain délictuelle, l’article 1240 C. civ. ouvre une voie parallèle contre le tiers « complice ».
Concrètement, l’expert a chiffré quatre postes de préjudice :
- – Perte de globalisation : morceler un ensemble immobilier, c’est lui faire perdre son âme… et 10 % de sa valeur,
- – Perte de capitalisation : la différence entre la valeur de l’ensemble et la somme des lots séparés
- – Manque à gagner locatif passé : loyers nets actualisés
- – Revenus futurs projetés : capitalisation des loyers post-cession
D’abord, la division d’un bien immobilier entraîne une « perte de globalisation » diviser un ensemble immobilier fait disparaître son unité, entraînant une décote de l’ordre de 10 % : un terrain ou un immeuble vendu en blocs vaut généralement moins que la somme de ses parties vendues séparément, en raison de l’éclatement de la cohérence architecturale ou foncière.
Ensuite, la « perte de capitalisation » : faute de proposer le bien en bloc, le promettant empêche le bénéficiaire de tirer profit de son potentiel unifié. L’écart entre la valeur vénale de l’immeuble complet et la somme des lots vendus séparément reflète l’écart entre la valeur vénale du bien complet et la somme des lots isolés : chaque lot se négocie à un prix inférieur à ce qu’aurait rapporté l’ensemble.
S’ajoute à cela le manque à gagner des loyers : les loyers nets actualisés que le bénéficiaire. Ce poste traduit la privation effective d’une source de revenus due à l’exclusion de la transaction., calcul établi en actualisant les recettes nettes que le bénéficiaire n’a jamais vues tomber. Dans la même veine, la projection des revenus nets post-vente, soit ceux qu’aurait continué à générer le bien si la cession lui avait été proposée.
Au total, ces postes définissent le préjudice, soit la somme que le bénéficiaire peut réclamer sur le fondement de la responsabilité contractuelle (article 1231-1 C. civ.) : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts… ». Si le tiers acquéreur avait connaissance de l’existence du pacte, l’action peut même aboutir à la nullité du contrat ou à la substitution judiciaire du bénéficiaire (alinéa 2 de l’art. 1123). Enfin, l’article 1240 C. civ. offre une voie délictuelle : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Pourquoi ces chiffres ? Le pacte de préférence est conçu pour préserver l’équilibre contractuel : il donne une chance, et l’on ne saurait jouer avec une chance sans conséquences. La « perte de globalisation » et la « perte de capitalisation » reflètent la diminution de valeur patrimoniale causée par un marché éclaté ; la « perte de revenus passés et futurs » expose la privation de fruits économiques auxquels le bénéficiaire aurait légitimement pu prétendre. Ces postes traduisent la réparation intégrale du dommage subi : la victime doit être replacée, autant que possible, dans la position où elle se serait trouvée sans l’inexécution du pacte.
Sur le plan procédural, le bénéficiaire agira d’abord en responsabilité contractuelle (art. 1231-1 C. civ.) pour obtenir réparation pécuniaire. Si le tiers était informé, il pourrait solliciter la nullité du contrat ou la substitution (art. 1123 al. 2 C. civ.), ce qui revient à faire « transférer la propriété » au bénéficiaire à la place du tiers. Enfin, l’action délictuelle (art. 1240 C. civ.) vient renforcer l’arsenal, notamment lorsque la faute du tiers apparaît flagrante.
Le pacte de préférence préserve un équilibre contractuel : il accorde une chance, et on ne joue pas impunément avec une chance. La « perte de globalisation » et la « perte de capitalisation » traduisent la diminution patrimoniale d’un marché éclaté ; la privation des revenus passés et futurs illustre la perte de fruits économiques légitimes. Ensemble, ces postes visent à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée sans l’inexécution du pacte.
En définitive, méconnaître un pacte de préférence ne se limite pas à voler une part de gâteau : c’est s’exposer à une avalanche de sanctions contractuelles, délictuelles et même à la substitution judiciaire. D’où l’importance de rédiger son pacte avec soin… et de ne jamais oublier que la priorité n’est pas un simple privilège, mais un droit qu’il vaut mieux choyer !