L’évaluation d’un actif : entre réalité et potentiel
Évaluer un actif suppose de distinguer deux logiques complémentaires. La première est celle de la photographie fidèle de la réalité actuelle, que l’on retrouve dans le business plan dit « as is ». La seconde est celle de la projection vers un potentiel de développement, que traduit le business plan dit « inflaté ». Ces deux approches ne relèvent pas du même champ et ne poursuivent pas les mêmes finalités : l’« as is » est l’outil de l’expert, tandis que l’« inflaté » appartient au repreneur et à l’investisseur.
Les méthodes fondées sur le business plan
Lorsqu’un actif est évalué à partir de ses flux futurs, l’expert recourt à des méthodes dites « par les flux », dont la plus connue est la méthode des Discounted Cash-Flow (DCF). Cette méthode consiste à projeter les résultats futurs de l’entreprise, à actualiser les flux de trésorerie attendus et à en déduire une valeur financière. Elle exige nécessairement un business plan, puisqu’il constitue la matrice de ces flux projetés. La fiabilité du calcul dépend donc directement de la nature du business plan utilisé et de la rigueur apportée à son examen critique.
Le business plan « as is » : la prudence de l’expert
Le business plan « as is » prolonge les données issues des comptes historiques. Il intègre le chiffre d’affaires réellement constaté, les marges effectivement dégagées, les charges structurelles existantes et les tendances récentes. Sa logique est prudente : il décrit l’entreprise telle qu’elle fonctionne aujourd’hui et la projette sans hypothèses volontaristes. Pour l’expert, c’est la seule base admissible. Son rôle n’est pas de faire œuvre de stratégie ou de projection, mais de déterminer une valeur fondée sur des données tangibles, vérifiables et contradictoires. Cette approche de prudence est indispensable, notamment en contexte judiciaire ou amiable, car elle sécurise le scénario de continuité et constitue un socle de crédibilité.
Le business plan « inflaté » : l’outil de projection des investisseurs
Le business plan « inflaté » obéit à une autre logique. Il repose sur des hypothèses de transformation : rénovation des locaux, montée en gamme de l’offre, synergies commerciales, économies d’échelle ou élargissement de la clientèle. Il ne dit pas « voilà ce qui est », mais « voilà ce qui pourrait être ». Sa fonction n’est pas d’ancrer une valeur objective, mais de valoriser un potentiel et de raconter une trajectoire. C’est ce type de scénario que l’on retrouve dans les contextes où il faut convaincre : levées de fonds, opérations de cession, recherche de partenaires financiers. Là où l’expert évalue le risque plancher, l’investisseur raisonne en termes de potentiel plafond.
La mission de l’expert : prudence et esprit critique
Même lorsqu’il travaille sur la base d’un business plan « as is », l’expert ne peut se limiter à une lecture passive. Sa mission comporte une dimension critique : il doit identifier qui a réalisé le business plan, vérifier la cohérence des hypothèses retenues, comparer les marges et les charges projetées avec les ratios du marché et relever les écarts injustifiés par rapport aux performances sectorielles. Il ne fabrique pas le business plan, mais il en teste la plausibilité et la robustesse. Cette vigilance est déterminante dans une méthode DCF, où la valeur calculée dépend directement des flux prévisionnels retenus.
Exemple d’un actif hôtelier
Dans le cas d’un hôtel, l’expert décrit l’exploitation telle qu’elle existe. Il constate l’état des chambres, mesure le taux d’occupation réellement observé et prend en compte les charges telles qu’elles figurent dans les comptes. C’est à partir de ces données que la rentabilité réelle est appréciée. L’investisseur, lui, peut bâtir un business plan « inflaté » en intégrant les effets attendus d’une rénovation complète, d’une revalorisation tarifaire et d’une nouvelle stratégie commerciale. Il assume alors une part de pari, qui n’appartient pas au champ de l’expertise mais à celui du projet entrepreneurial.
Quand utiliser l’« inflaté » ?
Le business plan « inflaté » trouve son utilité dans les contextes où le potentiel de croissance doit être mis en avant : recherche de financements, levée de fonds, négociation d’un prix de cession. Il sert à convaincre des investisseurs d’accompagner une transformation et à justifier un engagement de capitaux. Mais il ne doit pas être confondu avec l’analyse de l’expert : l’« inflaté » est un outil de conviction, pas un outil d’expertise.
Deux logiques à articuler sans les confondre
L’évaluation par les flux impose de clarifier la nature du business plan retenu. Le business plan « as is » relève de l’expert, qui sécurise la valeur actuelle par une approche prudente et critique. Le business plan « inflaté » appartient à l’investisseur, qui projette un futur possible et valorise un potentiel. Les deux approches se complètent, mais leur usage doit rester clairement distingué. Pour décider, l’investisseur a besoin du socle de réalité fourni par l’« as is » et de la projection de valeur donnée par l’« inflaté ». L’expert, lui, reste du côté du réel et de la vérification critique, garantissant que les méthodes d’évaluation reposent sur des bases solides, objectives et documentées.

