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Les petits potins de l’immobilier -2025 Semaine 36

Le potin de la semaine

L’expertise s’acquiert surtout par l’expérience … 

Le dépositaire d’un fonds immobilier est ce tiers discret dont on oublie parfois le rôle central. Sa mission, définie par le Code monétaire et financier et le règlement général de l’AMF, n’est pas de gérer à la place du gérant mais de vérifier, de conserver et de protéger. Trois fonctions cardinales structurent son action : la conservation des actifs, le contrôle de la régularité et le suivi des flux. Conserver, cela veut dire s’assurer que les immeubles, les parts de sociétés ou les liquidités figurent bien à l’actif et sont tenus en sécurité, sans ambiguïté sur leur propriété. Contrôler, c’est vérifier que chaque décision de la société de gestion respecte le droit, les statuts et surtout le prospectus qui engage vis-à-vis des investisseurs. Suivre les flux, enfin, c’est s’assurer que les mouvements de souscriptions, de rachats ou de distribution sont traités correctement, dans l’ordre et dans l’égalité.

J’ai exercé cette mission de responsable de société de gestion au sein d’une banque dépositaire, après un parcours en immobilier pur : syndic de copropriété, administrateur de biens puis asset manager. Cette expérience m’a donné un regard double, celui de l’opérationnel au quotidien et celui du contrôleur chargé de s’assurer que les règles sont respectées. À mon arrivée en banque dépositaire, j’ai constaté que personne ne s’assurait encore que le type d’actif acquis correspondait réellement à ce qu’autorisait le prospectus. J’ai dû mettre en place ce contrôle, qui paraît évident : une SCPI de bureaux ne peut pas, au gré des opportunités, se transformer en portefeuille de commerces ou d’hôtels. De la même manière, combien de prospectus ont été retoqués parce qu’ils omettaient des mentions obligatoires, ou qu’ils décrivaient la rémunération de la société de gestion de manière approximative. Le dépositaire n’est pas là pour valider les approximations, il doit exiger la conformité, quitte à agacer les équipes commerciales.

Le rôle de contrôle ne se limite pas à vérifier l’existence d’une expertise immobilière : il s’agit aussi d’en apprécier la cohérence. Lorsque la valeur transmise par l’expert paraît décalée par rapport aux données de marché ou aux flux réels, le dépositaire doit parfois se retrousser les manches et refaire lui-même une expertise, uniquement sur dossier. C’est un travail de vérification, de recalcul, qui peut sembler ingrat mais qui protège la crédibilité du véhicule. Sans ce regard critique, la valeur liquidative deviendrait une donnée fragile, contestable, et au fond trompeuse pour les porteurs.

Le contrôle commence dès l’entrée en relation. Le dépositaire met en place une procédure d’examen qui suppose de prendre connaissance de l’organisation de la société de gestion, de ses procédures internes, de son plan de contrôle, de son agrément AMF, de son système comptable et des modalités d’échange d’informations. C’est un véritable audit préalable. Et ce n’est qu’après cette vérification qu’une relation est validée, ou pas. En cours de vie, la société de gestion doit informer le dépositaire de tout événement majeur : modification des statuts, changement d’objectifs, fusion ou dissolution. Dans certains cas, l’accord formel du dépositaire est obligatoire, souvent matérialisé par une lettre d’acceptation.

Le quotidien du dépositaire se traduit par des contrôles systématiques : respect des ratios d’endettement et de diversification, rapprochement régulier des comptes espèces et titres, vérification de l’existence des actifs, contrôle des inventaires, suivi du nombre de parts en circulation, contrôle des frais de gestion, des distributions et de la valorisation. Ces vérifications sont faites sur pièces mais aussi parfois sur place, car la présence physique reste un moyen de s’assurer que les procédures sont bien réelles. Je me souviens encore d’une société de gestion qui m’avait demandé si elle pouvait, pour des raisons de trésorerie, distribuer d’abord les dividendes aux gros porteurs et plus tard aux petits. J’ai évidemment répondu non : l’égalité entre porteurs n’est pas négociable. C’est précisément pour ce genre de situation que la fonction de dépositaire existe.

La tenue de registre et la centralisation des ordres sont une autre dimension souvent invisible. Chaque souscription, chaque rachat, chaque annulation de parts doit être enregistré et rapproché. L’exactitude du nombre de parts en circulation est une clé de voûte : une erreur ici peut fausser tout le mécanisme. Dans certains cas, le dépositaire tient lui-même ce registre, dans d’autres il en contrôle simplement la régularité. Mais dans tous les cas, il reste responsable de la conformité du processus.

Le lien avec l’AMF est constant et structurant. Le dépositaire est en quelque sorte l’œil du régulateur au cœur du fonds. Il alerte, transmet, et sa responsabilité est objective : il ne peut pas invoquer la complexité d’un montage ou l’erreur d’un tiers pour s’exonérer. Cette responsabilité est engagée vis-à-vis de l’AMF, même si ce n’est pas l’AMF qui l’emploie. C’est pour cela que cette fonction est généralement confiée à de grandes banques capables de supporter ce risque et d’organiser un contrôle adapté.

On dira parfois que ce rôle est inconfortable : payé par la société de gestion qu’il surveille, invisible aux yeux des investisseurs qu’il protège, le dépositaire évolue en équilibre instable. Mais c’est précisément ce paradoxe qui fait sa valeur. Il ne choisit pas la stratégie, mais il bloque les manquements manifestes : prospectus incomplets, expertises incohérentes, ratios dépassés, distributions inéquitables. Sans lui, la gestion collective immobilière se réduirait à une promesse fragile, exposée aux dérives.

Cette fonction m’a montré combien elle permet d’avoir un œil sur la complétude de l’immobilier. Être dépositaire, c’est suivre à la fois les investissements, la rentabilité, l’évolution des véhicules  OPCI, SCPI ou FIA et disposer ainsi d’une vision kaléidoscopique du secteur. On en voit toutes les facettes, sans jamais être sur le devant de la scène.

Le responsable de la fonction dépositaire est ce gardien de la régularité qui, par des contrôles parfois ingrats, assure la confiance collective. Il conserve les actifs, vérifie la conformité, surveille les flux et les ratios, refuse les documents imprécis, impose le respect du prospectus et protège l’égalité des porteurs. C’est un rôle discret mais essentiel : sans lui, la promesse faite aux investisseurs ne serait qu’une déclaration d’intention, sans garantie de mise en œuvre. C’est un rôle de coulisses, ingrat parfois, mais essentiel : car sans ce regard global et discret, la promesse faite aux investisseurs resterait une intention fragile, jamais véritablement garantie.

SCPI : rémunération du gérant, l’assemblée générale garde la main

La question de la rémunération des sociétés de gestion dans les SCPI est plus sensible qu’il n’y paraît. Derrière les pourcentages de commissions se joue en réalité un équilibre de pouvoir entre associés et gérant. L’arrêt rendu le 17 septembre 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 454 F-B, pourvoi n° 24-14.271, publié au Bulletin) vient rappeler une évidence qui n’en est pas toujours une dans la pratique : la rémunération de la société de gestion fixée par les statuts peut être modifiée par l’assemblée générale des associés, sans que le gérant puisse s’y opposer.

L’affaire oppose la société Inter Gestion Reim, société de gestion agréée par l’AMF, à la SCPI Pierre Investissement 6. Les statuts prévoyaient une commission de cession de 6 % au profit du gérant et une rémunération du liquidateur. Lors de l’assemblée générale mixte du 27 juin 2018, les associés ont décidé de réduire cette commission à 0,6 % et de supprimer la rémunération du liquidateur. Le gérant, voyant fondre sa rémunération, a refusé de s’incliner. Il a assigné la SCPI en inopposabilité de cette modification, invoquant notamment la théorie de la stipulation pour autrui. Selon lui, la clause statutaire fixant sa rémunération lui créait un droit irrévocable dès son acceptation.

Le débat a donc porté sur une question précise : les statuts d’une SCPI fixant la rémunération de la société de gestion confèrent-ils à cette dernière un droit acquis, intouchable sans son accord, ou bien relèvent-ils d’une simple modalité de gestion pouvant être amendée par décision des associés ?

La Cour d’appel de Paris avait tranché : pas de droit acquis, les associés restent maîtres des statuts. Le gérant a persisté et s’est pourvu en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle l’article 422-198 du règlement général de l’AMF : « Le taux, l’assiette ou les autres éléments de la rémunération de la société de gestion peuvent être prévus par les statuts de la SCPI et, à défaut, les conditions précises de rémunération sont arrêtées par une convention particulière passée entre la société de gestion et la SCPI et approuvée par l’assemblée générale ordinaire de cette dernière. » En clair, deux options existent : soit la rémunération est dans les statuts, soit elle fait l’objet d’une convention spécifique. Dans le premier cas, c’est l’assemblée générale qui peut modifier les statuts, dans le second c’est la convention qui prévaut.

Dans l’affaire en cause, la rémunération figurait bien dans les statuts. L’assemblée générale avait donc compétence pour la modifier, sans que le gérant ait un droit de veto. La haute juridiction souligne qu’« une délibération de l’assemblée générale de la SCPI modifiant les dispositions des statuts fixant la rémunération de la société de gestion n’a pas à être agréée par celle-ci, qui ne peut s’y opposer ».

C’est un rappel salutaire. Car dans la pratique, les sociétés de gestion ont parfois tendance à considérer que leur rémunération est un dû, verrouillé pour toute la durée de leur mandat. Or, la SCPI n’est pas un contrat entre deux parties égales : c’est une société civile, et les statuts sont le fruit de la collectivité des associés. Les décisions statutaires leur appartiennent. La société de gestion, désignée par ces mêmes statuts, ne peut pas s’en prévaloir comme d’une convention privée à son profit.

L’argument de la stipulation pour autrui n’a pas convaincu. Certes, l’article 1121 du code civil permet qu’un tiers profite d’un droit stipulé à son bénéfice. Mais encore faut-il que la clause ait été conçue comme telle, et que le tiers ne soit pas par ailleurs tenu de nombreuses obligations en contrepartie. Ici, la rémunération du gérant était l’un des éléments de l’équilibre statutaire global, indissociable de ses missions de gestion. Il ne s’agissait donc pas d’un « cadeau irrévocable », mais d’une modalité de gouvernance.

En pratique, cet arrêt redonne aux associés une marge de manœuvre importante. La rémunération du gérant n’est pas hors de portée : elle peut être discutée, amendée, adaptée aux circonstances, tant que la modification se fait dans les formes statutaires. Cela renforce le rôle des assemblées générales, souvent perçues comme des chambres d’enregistrement.

Avocat du diable : la solution n’est pas sans risque. On peut craindre que des associés mécontents, ou sous l’influence d’un conseil de surveillance particulièrement combatif, décident de réduire drastiquement la rémunération de la société de gestion pour des motifs conjoncturels. Cela pourrait fragiliser la continuité de la gestion, voire pousser certaines sociétés de gestion à se retirer. À l’inverse, laisser au gérant un droit acquis sur sa rémunération exposerait les associés à des commissions figées, parfois déconnectées de l’intérêt collectif.

Angle mort : qu’en est-il si la rémunération n’est pas prévue dans les statuts mais dans une convention ? Dans ce cas, la société de gestion serait partie prenante de la convention et pourrait opposer son droit contractuel. L’arrêt ne tranche pas cette hypothèse, mais l’article 422-198 du règlement général de l’AMF reste clair : la convention doit être approuvée par l’assemblée générale ordinaire. On se retrouverait alors dans une logique plus proche du droit commun des contrats.

Un autre enjeu se profile : la capacité réelle des associés à se mobiliser et à voter en connaissance de cause. Beaucoup d’assemblées de SCPI peinent à réunir un quorum, et les résolutions sur la rémunération sont noyées dans un flot de questions techniques. L’arrêt du 17 septembre 2025 redonne du poids à ces décisions, mais encore faut-il que les porteurs de parts s’en emparent.

Enfin, cet arrêt illustre une tendance plus large : replacer la gouvernance des SCPI dans le giron des associés, et non dans celui exclusif de la société de gestion. Cela rejoint d’autres évolutions récentes visant à renforcer la transparence, l’information et la capacité de contrôle des investisseurs.

En somme, la Cour de cassation ferme la porte à une lecture contractuelle trop favorable aux sociétés de gestion et réaffirme la nature statutaire de leur rémunération lorsqu’elle est prévue dans les statuts. C’est une décision qui ne bouleverse pas le droit positif mais qui clarifie les lignes de force. Les gérants devront l’intégrer : leur rémunération n’est pas intangible, et les associés disposent d’un vrai pouvoir de révision. Reste à voir si, dans la pratique, ce pouvoir sera exercé de façon raisonnée ou s’il donnera lieu à de nouveaux contentieux.

 

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