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Attention danger : la répartition du prix entre terrain et construction n’est pas une affaire de pourcentage

On lit encore trop souvent, y compris sur les sites de grandes sociétés françaises, que « par convention, la valeur du terrain équivaut à 15 % de la valeur de l’ensemble ». Une telle affirmation, en apparence pratique, est en réalité trompeuse et dangereuse pour les contribuables comme pour leurs conseils (experts-comptables, notaires, experts en évaluation immobilière).

Les enjeux fiscaux d’une ventilation correcte

Lorsqu’un immeuble est inscrit à l’actif d’une société (SCI à l’IS, SARL de famille, société d’exploitation) ou d’un loueur en meublé professionnel (LMP/LMNP), seule la valeur des constructions peut être amortie. Le terrain, par nature non amortissable, doit impérativement être isolé.

La quote-part attribuée au terrain conditionne donc directement le montant des amortissements déductibles et, par voie de conséquence, le niveau d’imposition.

Attribuer de manière forfaitaire 10 %, 15 % ou 20 % de la valeur d’un bien au terrain revient à prendre un risque majeur. En cas de contrôle fiscal, l’administration est en droit de rectifier cette ventilation si elle la juge incohérente, et de réintégrer les amortissements jugés excessifs. Les conséquences peuvent être lourdes : rappel d’IS, pénalités et intérêts de retard, souvent calculés sur plusieurs années.

Qui est concerné ?

La question de la ventilation terrain/construction concerne tous les contribuables qui pratiquent l’amortissement d’immeubles.

 Elle touche en premier lieu les loueurs en meublé professionnels (LMP) et non professionnels (LMNP), puisque leurs immeubles relèvent de la catégorie des BIC et donnent lieu à amortissement.

Elle concerne également les SCI à l’IS ainsi que toutes les sociétés commerciales soumises à l’impôt sur les sociétés (SARL, SAS, SA, etc.) qui détiennent des immeubles à l’actif et amortissent leurs constructions.

 Le problème se pose avec une acuité particulière lors du passage d’une SCI de l’IR à l’IS, car la valeur de l’immeuble doit alors être ventilée entre terrain et bâti pour déterminer la base amortissable.

À l’inverse, les SCI à l’IR, imposées dans la catégorie des revenus fonciers, ne pratiquent pas d’amortissement fiscal et ne sont donc pas directement concernées.

 La jurisprudence du Conseil d’État

Le Conseil d’État, dans deux arrêts de principe du 15 février 2016 (CE, 9e-10e ch., 15 févr. 2016, n° 367467, SARL Daves Place des États-Unis ; n° 380400, Sté LG Services), a fixé une méthodologie hiérarchisée que l’administration doit respecter pour contester la valeur attribuée au terrain :

  1. Comparer avec des ventes de terrains nus dans la même zone géographique et à des dates proches de l’acquisition.
  2. Évaluer le coût de reconstruction de l’immeuble, corrigé de la vétusté et de l’état d’entretien.
  3. Recourir à des données comptables issues d’autres entreprises, à condition que l’échantillon soit pertinent, homogène et que les immeubles retenus soient comparables (localisation, nature, date d’entrée au bilan).

Toute autre méthode simplifiée ou forfaitaire, comme l’application automatique d’un pourcentage, est à proscrire.

Illustration : Tribunal administratif de Dijon (TA Dijon, 17 janvier 2023, n° 2100821)

Dans une affaire récente, le gérant d’une SCI soumise à l’IS avait retenu une quote-part de 15 % pour le terrain d’un immeuble situé à Paris. L’administration, considérant ce ratio trop faible, avait réévalué la part du terrain à 50 % et recalculé les amortissements.

Pour justifier sa position, elle avait utilisé sept comparables issus de bilans d’entreprises, avec des ratios compris entre 45 % et 68 %. Mais le tribunal administratif de Dijon a rejeté son argumentation, considérant que les comparables n’étaient pas pertinents : périmètre géographique trop large, époques de construction différentes, surfaces incomparables et écarts de prix au m² disproportionnés.

Cet arrêt rappelle qu’une ventilation arbitraire expose à un redressement, mais qu’une contestation de l’administration fondée sur des comparables mal sélectionnés peut être invalidée.

Exemple chiffré : l’impact d’une mauvaise répartition

Prenons un cas simple : une SCI à l’IS achète en 2020 un immeuble pour 2 000 000 €.

  • Si elle applique un forfait de 15 % pour le terrain :
    • Terrain : 300 000 € (non amortissable)
    • Construction : 1 700 000 € (amortissable sur 25 ans, soit 68 000 €/an).
  • Si l’administration retient que le terrain vaut 40 % :
    • Terrain : 800 000 € (non amortissable)
    • Construction : 1 200 000 € (amortissable sur 25 ans, soit 48 000 €/an).

Écart d’amortissement : 20 000 €/an.
Sur 5 ans, cela représente 100 000 € d’amortissements excessifs.

Avec un taux d’IS de 25 %, le rappel d’impôt atteint 25 000 €, auxquels s’ajoutent pénalités et intérêts de retard. L’ardoise peut dépasser 130 000 € au total.

 

Combien de temps pour un redressement ?

En principe, l’administration dispose d’un délai de reprise de 3 ans (LPF, art. L. 169).

Mais en cas d’amortissements excessifs, elle peut invoquer la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (CGI, art. 38, 4 bis). Cela lui permet de corriger des erreurs commises depuis l’origine, y compris plus de 10 ans en arrière.

Un redressement peut donc porter sur 10 années d’amortissements si la quote-part terrain a été sous-évaluée.

Bémol : le « droit à l’oubli » (CAA Paris, 28 nov. 2022, n° 21PA00558)

Heureusement, la jurisprudence reconnaît une limite.

Dans l’affaire Société Hôtel de la Porte de Vincennes, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que la surévaluation initiale d’un actif amortissable, intervenue plus de sept ans avant le premier exercice non prescrit, relevait du « droit à l’oubli ».

L’immeuble en cause avait été acquis en 2005 et amorti sur son prix global, sans ventilation entre le terrain et la construction.

Le contrôle portait sur les exercices 2014 et 2015 et l’administration souhaitait réintégrer près de dix années d’amortissements.

La Cour a considéré que l’erreur, commise dès l’origine, ancienne de plus de dix ans, unique et non délibérée, pouvait bénéficier du droit à l’oubli.

En conséquence, la rectification a été limitée aux seuls exercices non prescrits et la société a obtenu une réduction de base imposable de 78 400 euros ainsi qu’une décharge corrélative d’impôt sur les sociétés et de pénalités.

Les bonnes pratiques à adopter

Les décisions récentes rappellent aux praticiens de l’évaluation immobilière comme aux contribuables que la première protection réside dans une ventilation crédible et correctement documentée.

Il est essentiel d’éviter le recours à des pourcentages de convenance qui ne reposent sur aucune justification économique.

 En cas de contestation, l’administration a l’obligation de motiver sa rectification à l’aide de comparables réellement pertinents et adaptés au bien concerné. Enfin, si le droit à l’oubli peut dans certains cas limiter l’étendue d’un redressement, il ne doit pas être considéré comme une stratégie volontaire mais uniquement comme une garantie exceptionnelle offerte par la jurisprudence.

La valeur du terrain dépend de nombreux paramètres : emplacement, constructibilité, configuration de la parcelle, époque de construction, attractivité du quartier. Elle ne peut en aucun cas être réduite à un pourcentage arbitraire.

Une ventilation rigoureuse, conforme aux méthodes fixées par le Conseil d’État (15 févr. 2016, n° 367467 et n° 380400) et confirmées par la jurisprudence récente (TA Dijon, 17 janv. 2023, n° 2100821 ; CAA Paris, 28 nov. 2022, n° 21PA00558), est la seule voie pour sécuriser la déductibilité des amortissements et éviter des redressements coûteux.

 

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